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« Nucléaire : Liège (et nous tous) en danger ? », débat sur RTL

Vous pouvez revoir ici le (bref) débat auquel j’ai participé ce dimanche matin dans l’émission « C’est pas tous les jours dimanche » animée par Christophe Deborsu sur RTL-TVI. Il était question de nos centrales nucléaires.

La vidéo peut aussi visible à cette adresse.

N’ayant guère eu le temps de développer mon propos (mais c’est le jeu, dans ce genre d’émission, on le sait en acceptant l’invitation), j’ajoute ici quelques éléments de commentaire.

De façon assez classique, deux questions se sont mêlées dans cet échange : celle de la sécurité nucléaire d’une part — qui fait l’objet de la délibération adoptée en début de semaine par le Conseil communal de Liège, à l’initiative de la Coopérative politique VEGA — et celle de l’approvisionnement électrique d’autre part.

Comme c’est souvent le cas en Belgique, la première question a été prestement évacuée au profit de la seconde. En substance : comme la fermeture des centrales nucléaires pose (en effet) des difficultés d’approvisionnement, on zappe la question de leur sécurité, dont il est rare que l’on débatte sérieusement dans les médias de grande écoute. D’ailleurs, la ministre Marghem, qui était présente sur la plateau, n’est pas compétente pour le contrôle nucléaire (l’Agence fédérale de contrôle nucléaire, AFCN, qui relève du ministère de l’Intérieur), mais seulement pour la politique énergétique.

De multiples raisons devraient pourtant pousser à tenir ce débat sur la sécurité. Que ce soit ces fameuses microfissures qui demeurent un énorme point d’interrogation et ont amené des experts internationaux reconnus à considérer que Tihange 2 et Doel 3 devraient être fermés sans délai. Que ce soit le risque sismique (les centrales sont prévues pour résister à un séisme de magnitude 6, alors qu’il y a eu des séismes plus importants dans la région au cours de l’histoire géologique récente) ou terroriste — le sabotage de Doel n’a toujours pas été éclairci. Que ce soit l’incapacité manifeste des pouvoirs publics belges à gérer un éventuel accident grave ou majeur (de niveau 6 ou 7 sur l’échelle INES) comme cela a été démontré de façon implacable par Bouli Lanners dans une interpellation citoyenne devant le Conseil communal de Liège qui fera date. Que ce soit encore la responsabilité la plus élémentaire que nous avons vis-à-vis de nos pompiers, de nos policiers et de tous ceux à qui devront mettre leur vie en jeu en cas d’accident grave. Que ce soit aussi les préoccupations exprimées de façon récurrente par de nombreuses autorités locales hollandaises, allemandes ou luxembourgeoises, qu’il n’est pas correct de ramener, comme l’a fait aujourd’hui la ministre Marghem, à des peurs irrationnelles.

Mais non, on préfère ergoter pour savoir si l’abandon du nucléaire coûtera 5 ou 10 EUR ou 15 EUR par mois aux foyers belges, tandis que plane la menace du blackout.

Pourtant, une règle de base du droit (et, selon moi, du débat public) est qu’on ne peut tirer argument de ses propres manquements, de ses propres négligences. Or c’est que font avec constance le gouvernement fédéral comme le secteur privé.

Le premier était légalement tenu d’organiser le remplacement de la capacité de production des centrales nucléaires à partir de 2015. Il s’est soustrait à cette obligation en détricotant la loi, pour prolonger de 10 années supplémentaires les centrales les plus anciennes (Doel 1 et 2 ainsi que Tihange 1). Il ne me semble pas inutile de faire remarquer ici qu’ensemble, ces trois réacteurs présentent une capacité de près de 2 GW, soit, à peu de choses près, la capacité des deux réacteurs microfissurés que l’on maintient, sans savoir exactement le risque qu’on court, pour des raisons d’approvisionnement.

Quant au secteur privé, à qui nous avons largement donné les clés de notre destin énergétique, il est loin de se montrer à la hauteur de la responsabilité qui lui est confiée. On se retrouve face à des gens — la FEB, en particulier — qui plaident sans sourciller pour une nouvelle prolongation des centrales nucléaires (au-delà de 2025, donc) pour des motifs strictement économiques, dans le mépris le plus complet de la décision démocratique du Parlement, mais, de plus, en ignorant superbement la question de la sécurité des centrales — ou d’autres questions aussi anecdotiques que la gestion des déchets nucléaires, qui pèseront pourtant sur le destin de l’humanité pour des dizaines de milliers d’années. Ceci ajoute à mes yeux un argument supplémentaire à la reprise en main de ce secteur par la collectivité — dont vous savez peut-être qu’elle me semble souhaitable pour de multiples raisons.

Au demeurant, ce calcul économique est lui-même sujet aux plus expresses réserves, tant il est vrai que de nombreuses variables restent incertaines, depuis le coût exact de la gestion des déchets nucléaires dans la longue durée en passant par l’évolution des coûts de production de l’énergie renouvelable sans même parler du coût proprement économique du risque nucléaire lui-même (le coût de la catastrophe de Fukushima est bien parti pour dépasser les 200 milliards d’euros et aucune compagnie d’assurance ne prend en charge ce risque, qui pèse donc sur la collectivité).

Bref, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler dans le débat de ce jour, il ne sert pas à grand-chose de disposer d’une énergie abondante et (prétendûment) bon marché si l’on a dû évacuer la moitié de la population.

Belle semaine à toutes et tous.