Il y a encore, j’en suis sûr, de nombreuses personnes qui croient sincèrement qu’on n’a pas le choix, qui achètent comme un chat dans un sac les déclarations des ministres-présidents Dolimont (Wallonie) et Degryse (Communauté française) présentant, ces derniers jours, leurs budgets serre-kiki respectifs comme le fait de la pure fatalité. En attendant le troisième catalogue des horreurs qui ne va pas manquer de sortir de la négociation fédérale (qui a cependant l’air de patiner), on se demanderait presque — si on les croyait — si ces gens font de la politique ou de la cartomancie.
Je résume ici quelques arguments importants pour ne pas se faire abuser par les bobards de la droite. Plus que jamais, l’auto-formation populaire est indispensable pour résister à la vague (d’ailleurs n’hésitez pas à compléter, corriger, commenter, je tiendrai compte de vos remarques pour améliorer mon texte).
1. Reconnaissons tout d’abord que la situation globale s’est sérieusement tendue. L’inflation liée à la guerre en Ukraine s’est poursuivie avec la guerre des droits de douane de Trump et l’instabilité politique généralisée. L’accord transatlantique conclu cet été par Von der Leyen est une catastrophe pour l’Europe. Tout cela nous a ramené à des taux d’intérêts élevés, qui pèsent et vont peser sur le coût de notre endettement et limitent la capacité d’investissement de tous les acteurs économiques. Les catastrophes liées au réchauffement climatique se multiplient (et ça ne fait que commencer). Plus que jamais, donc, chaque euro d’argent public doit être dépensé avec prudence et parcimonie.
2. Cela ne signifie pas pour autant qu’on ramènera nos budgets publics à l’équilibre en taillant sauvagement dans les dépenses sociales, comme le font actuellement le MR et les Engagés, qui semblent avoir oublié un concept élémentaire de l’économie politique : chaque dépense a un effet économique multiplicateur. C’est simple à comprendre : si une personne qui n’avait pas de revenu en trouve un, elle va l’utiliser pour consommer des biens et services, faisant tourner la machine économique. Quand ce sont des milliers de personnes qui entrent dans le jeu, ça crée de l’activité, des emplois, qui vont eux-mêmes avoir un effet, etc. Sauf que ça marche aussi dans l’autre sens : quand vous supprimez des dizaines de milliers d’emplois, quand vous vous apprêtez en sus à priver des dizaines de milliers d’autres personnes de tout revenu, vous amorcez un puissant effet anti-multiplicateur qui se paiera inévitablement, y compris sur le plan des recettes fiscales (et bardaf…).
3. Il est donc essentiel de choisir avec soin des mesures susceptibles d’avoir des effets-retours positifs. Et quelle a donc été la première et plus coûteuse décision du nouveau gouvernement wallon, après son installation l’année dernière ? Réduire fortement les droits d’enregistrement sur l’achat d’un bien immobilier (et aussi les droits de succession, à partir de 2028) — soi-disant pour faciliter l’accès au logement. Effet-retour : néant. Bilan ? Le prix du logement en Wallonie a explosé, réduisant à rien l’avantage pour les candidats acquéreurs. Mais les caisses wallonnes ont été amputées de plusieurs centaines de millions d’euros par an (un montant supérieur aux économies très douloureuses qui viennent d’être décidées dans la politique de l’emploi ou dans l’enseignement : quand on vous dit que la politique est une affaire de CHOIX). Tout le monde est perdant, alors ? Pas tout à fait : ces centaines de millions d’euros tomberont dans l’escarcelle des vendeurs de (multiples) biens immobiliers et dans celle des grands héritiers — c’est-à-dire, dans bien des cas, les électeurs de M. Dolimont, celui-là même qui aime tant accuser de « clientélisme » la gauche quand elle met en place des mécanismes de solidarité. Mais M. Dolimont n’est pas gêné de nous répéter encore et encore que « La Wallonie vit au-dessus de ses moyens ».
4. Notez, des décisions aussi foireuses, on pourrait en mettre en lumière des dizaines d’autres, posées année après année par la droite. Un autre exemple ? La réduction du taux de l’impôt des sociétés (ISOC), décidée en 2017 par le gouvernement MR-NVA de Charles Michel (avec la si douce Sophie Wilmès au budget et Johan Van Overtveldt aux finances) : son impact pour le budget de l’Etat a été évalué à l’époque à 4 à 5 milliards d’euros (probablement plus de 6 aujourd’hui). Chaque année. Plus de la moitié de « l’effort » de 10 milliards exigé pour le moment par De Wever. Et tellement plus que le coût de la réforme du chômage.
5. Disons-en un mot, d’ailleurs, de cette réforme du chômage. En commençant par poser quelques ordres de grandeur : l’assurance chômage, c’est environ 6,5 milliards d’euros par an, pour environ 300.000 chômeurs, soit en moyenne une vingtaine de milliers d’euros par personne, sensiblement moins pour les chômeurs de longue durée dont l’allocation est substantiellement réduite. Or, environ 180.000 personnes seront exclues l’année prochaine, pour une économie nominale de l’ordre de 2,5 milliards d’euros. Sauf que… environ 60% de ces personnes seront éligibles au Revenu d’insertion, ce qui réduit déjà le gain pour les caisses publiques à un… unique milliard (tant de souffrance pour… ça ?). Et parmi les 40% restant, beaucoup vont basculer dans la pauvreté, engendrant des coûts considérables pour la collectivité (eh oui, la pauvreté, ça rend les gens malades, ça demande des systèmes d’aide complexes à mettre en place, ça désorganise la société, bref ça coûte très cher). Si l’on ajoute à cela les effets anti-multiplicateurs (vous vous souvenez ?), si l’on veut bien se souvenir que le suivi d’une personne émargeant au CPAS coûte plus cher que celui d’un chômeur (eh oui), il n’est pas du tout impossible que cette réforme, au final, se traduise par des économies… négatives. Sauf que les coûts seront en bonne partie assumés par d’autres, par les communes d’abord (pour info, si la prise en charge des nouveaux Revenus d’insertion par le fédéral sera presque complète en 2026, ça va fortement décroître ensuite), par les régions, par tout le tissu de solidarité formelle et informelle enfin. Mais, à n’en pas douter, Clarinval continuera à plastronner (sait-il faire autre chose, d’ailleurs ?).
7. Ce constat peut d’ailleurs être étendu : de très nombreuses décisions reviennent non pas à économiser de l’argent, mais à transférer des dépenses vers d’autres niveaux de pouvoir, en particulier les grandes villes paupérisées, qui se mangent de plein fouet les mesures d’austérité. Résultat : un affaiblissement généralisé du service public local, une fiscalité locale qui va inévitablement augmenter, ce qui arrange bien la droite, qui pourra à loisir accuser les édiles communaux écartelés entre une contrainte intenable venant de la Région et du fédéral et la volonté tenace de protéger leurs concitoyens, particulièrement les plus fragiles. Ce même principe vaut d’ailleurs pour la Communauté française (aka Fédération Wallonie Bruxelles), à qui ont a transféré l’enseignement, la culture, la politique de santé ou l’aide aux personnes… sans jamais leur donner les moyens structurels d’assumer ces missions et sans leur donner le moindre pouvoir fiscal. Même si la loi de financement a été un peu assouplie à deux reprises, on a fait en sorte que ces matières essentielles seraient peu à peu garrottées. Comment décrire ce CHOIX autrement que comme une perversion ou un suicide ?
8. Alors, ce serait quoi, une politique budgétaire progressiste ET réaliste ? Il me semble qu’il s’agit de la construire autour de trois mots-clés : mutualisation, investissement et systémique.
Mutualiser parce que les dépenses décidées collectivement sont plus efficaces et plus judicieuses. C’est un fait. C’est plus efficace de créer un système de sécurité sociale que de confier ses missions à des assurances privées. C’est plus efficace de produire du logement collectivement que chacun de son côté. C’est plus efficace de monter dans un tram que de prendre chacun sa bagnole. Quand l’argent manque, on mutualise. Et donc, comme Roosevelt, on restaure la progressivité de l’impôt sur les (très) hauts revenus et on remet l’impôt des sociétés à 33%. Ce qui remet instantanément le budget à l’équilibre (ce qui au demeurant, n’a rien d’indispensable : il est parfaitement normal et sain de financer les investissements publics par un endettement contrôlé).
Notez, pendant ce temps, le gouvernement des droites a décidé… d’exonérer de cotisations sociales sur les salaires supérieurs à 340.000 EUR par an, histoire de fragiliser un peu plus la Sécu et de pouvoir couiner derrière comme si personne ne les voyait.
Investir, dans l’énergie, dans les transports, dans le logement, dans nos écoles, nos universités, dans les technologies qui seront centrales pour la prochaine génération, dans la robustesse de nos installations vitales. Parce que c’est comme ça qu’on construit l’avenir. Parce que c’est indispensable pour affronter le choc climatique qui arrive. Parce que c’est cela qui fondera notre prospérité future.
Et enfin adopter une attitude systémique, c’est-à-dire adopter un regard global, transversal — plutôt que toujours tout découper selon les couches de notre lasagne institutionnelle — parce que la déresponsabilisation généralisée qui est la marque de fabrique des politiques de droite a fait bien assez de dégâts comme cela. Les soins de santé coûtent trop cher ? On ne résoudra à tout coup pas le problème en privant les malades de soins (« lever » cinq milliards sur les malades, qu’il disait, l’autre fou-furieux), en pressurant tout le monde comme des citrons, en terrorisant les gens quand à leur avenir, en demandant à tout le monde de se crever au travail jusqu’à 67 ans. On résoudra le problème en adoptant — enfin — une politique de prévention en matière de santé. Je ne vous parle même pas de pollution de l’air, de PFAS ou de souffrance au travail (ce sera pour un autre jour). Je vous donne juste un exemple : développer fortement la pratique du vélo est une mesure systémique, une mesure qui améliore la mobilité, qui rend les villes plus agréables (et qui permet donc de faire cesser l’exode urbain), qui réduit la pollution de l’air et qui réduit considérablement le coût des soins de santé, parce que les gens qui font du vélo sont en bien meilleure santé que la moyenne.
Allez, on lâche rien !
PS : Sinon, nous vivons dans une société parmi les plus riches de l’histoire humaine (tellement plus riche que celle qui instauré la Sécu en 1944 alors que la guerre n’était même pas terminée). Et puis la Cour des comptes estime que la fraude fiscale représente 30 milliards d’euros chaque année en Belgique. Mais ça vous le saviez déjà…
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