Le gouvernement wallon vient d’adopter, juste avant la trêve de fin d’année, une « note d’orientation » qui prévoit la suppression des conseils provinciaux et la mise en place, à la même échelle, d’entités dites « supracommunales ». Les échéances sont très courtes puisque les retours sont attendus pour le 1er mai. Et disons-le : ce qui s’annonce est une pure catastrophe.
On parle depuis très longtemps de supracommunalité. On évoque souvent la France, qui a mis en place des « communautés urbaines », puis des « métropoles », avec un succès certain (programmes d’investissements ambitieux, renouveau et attractivité nouvelles des grandes villes « de province »). Mais en Wallonie, pourquoi avons-nous besoin d’outils supracommunaux ? Selon moi, leur nécessité découle de notre besoin de prendre des décisions démocratiques à l’échelle des « bassins de vie » et d’y développer les outils dont ces bassins ont besoin (ce que la Région wallonne ne fait pas, notamment du fait de son refus maladif de reconnaître ses grandes villes).
Car le territoire — dans son aménagement, dans son usage — a fondamentalement évolué depuis le milieu du XXe siècle. Là où l’on travaillait le plus souvent à proximité de son lieu d’habitat, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Là où le niveau communal était pertinent pour gérer un réseau d’eau potable, d’électricité, pour collecter les déchets, ces aménités sont aujourd’hui gérées à des échelles bien plus larges. Le même raisonnement peut être tenu pour l’accès aux soins médicaux, aux équipements scolaires, pour le tourisme, etc.
Observer cette redéfinition spatiale permet de faire apparaître des « bassins » : bassins d’emploi, bassins d’enseignement, bassins de soins, etc. Quand on les superpose, on observe qu’ils ne se recouvrent pas complètement (c’est la difficulté de l’exercice), mais de grandes tendances apparaissent, massives : des « bassins de vie » se sont formés, polarisés par les villes.
Cette évolution majeure a créé de puissantes interdépendances entres communes, et fait que des choix de sociétés majeurs doivent être pris à cette échelle supracommunale. C’est à cette échelle du bassin de vie que doit par exemple s’organiser un réseau de transport public, un réseau hospitalier, un réseau de distribution de l’eau potable ou de collecte des déchets, etc. C’est donc à cette échelle qu’il nous faut organiser une délibération démocratique, publique, transparente, représentative de la diversité des sensibilités démocratiques.
Or ces bassins, il ne correspondent plus du tout aux territoires des provinces. Le territoire polarisé par Marche-en-Famenne mord sur le namurois. La dynamique de Charleroi intègre la région de Philippeville. Mais surtout, dans le Hainaut, Tournai, Mons et Charleroi (et dans une moindre mesure Ath et La Louvière) ont chacune leur dynamique propre. L’arrondissement de Verviers, même s’il est multipolaire (Eupen, Herve, Malmédy ou Spa venant concurrencer le centre historique affaibli) ne peut être réduit à une sous-entité de Liège. Et ainsi de suite, comme on l’observe sur la carte de synthèse proposée par l’IWEPS, qui illustre ce billet.
Et donc, quel est le projet du ministre Francois Desquesnes (Les Engagés), qui porte cette réforme ? Il souhaite, à rebours de tout ce que devrait être une supracommunalité, remplacer les conseils provinciaux par une assemblée composée des bourgmestres de toutes les communes de chaque province, une assemblée qui ne se réunirait que quelques fois par an. Cet organe superviserait, de façon technique, la gestion de quelques compétences résiduelles, le reste étant transféré à la Région ou aux communes. Ce faisant, ces entités provinciales plus vraiment « provinciales » perdront leur pouvoir fiscal (qui est conditionné à une élection directe).
Concrètement, ça signifie que la commune de Tinlot, 2782 habitants, serait représentée de la même manière dans cette instance que la Ville de Liège, 197.323 habitants. Comme si le Tinlotois avait 68 fois plus de légitimité que le Liégeois à faire valoir son point de vue. Une fois de plus — comme toujours — ce gouvernement wallon s’attaque aux villes.
Concrètement, cela signifie que les sensibilités politiques qui n’ont pas de bourgmestres (en province de Liège ECOLO et le PTB n’en ont aucun) seraient tout bonnement exclues du jeu supracommunal ! Alors que ce niveau de pouvoir a vocation a devenir un centre de gravité pour toutes les matières territoriales.
Concrètement, cela signifie que des bourgmestres déjà débordés devraient assumer les débats supracommunaux en plus de tout le reste : il ne fait aucun doute qu’ils ne sont pas en mesure d’y consacrer le temps nécessaire, que cela transférerait de fait le pouvoir à la technostructure qui sera à la tête de ces machins.
Concrètement, ça signifie que le manque de démocratie à cette échelle supracommunale — qui est le problème numéro 1 — serait fortement aggravé au lieu de se résoudre. Le manque de transparence dans les processus de décision qui président aux grandes orientations stratégiques sur les matières gérées par les intercommunales s’approfondirait (au moins, aujourd’hui, le sujet peut être évoqué au Conseil provincial : ce ne sera plus même le cas si Desquesnes est suivi).
Concrètement, ce signifie que, contrairement aux métropoles françaises qui ont toutes lancé des programmes d’investissement qui ont permis de faire évoluer les grandes villes françaises, ces instances n’auraient quasiment aucune capacité d’investissement (faute de pouvoir fiscal, mais aussi faute de légitimité).
Concrètement, il s’agirait de conserver l’échelle (non pertinente) des provinces, alors que la réalité humaine et technique des matières concernées ne leur correspond pas.
Concrètement, il s’agirait de dépouiller cet échelon — ce croupion — provincial/supracommunal des compétences qu’il exerce aujourd’hui, alors qu’il faudrait au contraire lui en transférer, notamment parce que tout le monde a répété depuis 20 ans que c’est l’échelon pertinent pour gérer l’urbanisme et la mobilité (les communes étant trop petites, la Région trop éloignée).
Bref : il est indispensable de résister de toutes nos forces à ce projet et je vous propose pour ce faire de nous donner les mots d’ordre suivants.
1. Pour une supracommunalité démocratique : élection directe et proportionnelle, publicité des débats !
2. Pour une supracommunalité à l’échelle des bassins de vie et non des défuntes provinces !
3. Pour une supracommunalité en mesure de gérer le territoire de façon cohérente : transfert de compétences (notamment le transport public et l’urbanisme) vers les métropoles et non l’inverse !
François Schreuer
Illustration : Synthèse de structuration du territoire en bassins multiscalaires (bassins d’emploi intrawallons, sans prise en compte des flux sortants). IWEPS, Working paper n°40, janvier 2024.
Pour aller plus loin...
- Pour une nouvelle fusion des communes
Conférence de presse - 3 avril 2014 - Cinq remarques sur la métropole liégeoise
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