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Un tram déjà saturé. Comme prévu

Le TEC vient de rendre publics de premiers chiffres de fréquentation du tram de Liège, pendant ses quatre premiers mois de fonctionnement. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont encourageants, puisque pas moins de 275.000 utilisateurs par semaine ont été comptabilisés cet été (et non 100.000 comme a titré le journal Le Soir, on ne sait trop pourquoi).

Et cela malgré :

=> Des accidents et pannes qui ont été assez nombreux (26 accidents répertoriés par le TEC) et ont amené de fréquentes interruptions du service (souvent pendant plusieurs heures). Ce vendredi encore, un camion a arraché la Ligne aérienne de contact entre Leman et Val Benoit, amenant le tram à ne plus desservir la ligne au-delà de la station Blonden pendant toute la journée, d’où le rebroussement que vous voyez sur la photo (prise par Jean-Géry Godeaux, merci à lui).

=> Une réduction conséquente de l’offre sur les lignes de bus urbaines qui, en plus de dégrader considérablement le quotidien des usagères et des usagers, réduit mécaniquement le nombre de personnes qui parviennent à rejoindre le tram. Il ne fait pas de doute qu’avec un réseau TEC plus performant en amont et en aval, le tram serait encore bien plus rempli.

=> La période estivale, pendant laquelle le public scolaire est le moins présent. C’est simple : depuis le 28 avril, date de l’inauguration, c’est seulement au cours de la semaine écoulée que l’enseignement obligatoire et l’enseignement supérieur ont été ouverts en même temps.

=> Le fait que ces chiffres ne portent que sur les validations. Les abonnés qui ne valident pas à la borne (ça peut arriver) ou les personnes qui voyagent sans payer (et elles sont assez nombreuses à Liège) ne sont pas comptabilisées.

Et de fait, on observe sur le terrain des trams très remplis, énormément de monde aux arrêts et déjà de vrais problèmes d’engorgement, non seulement dans l’hypercentre ou aux Guillemins, mais aussi aux terminus provisoires de Coronmeuse et de Sclessin qui n’ont pas été dimensionnés pour servir de lieu de transit à, respectivement, tous les voyageurs venant de la Basse et de la Haute-Meuse.

Bref, on atteindra probablement les 400.000 usagers par semaine dès ce mois d’octobre. Et je pense que les 500.000 par semaine sont en vue.

Ceci appelle quelques commentaires :

1. Comme je l’ai écrit dès 2019, il se confirme que le TEC a sous-estimé la fréquentation probable du tram et donc le dimensionnement de l’offre. On va se retrouver assez rapidement devant un problème de capacité, altérant dans un premier temps le confort des usagers (on y est déjà), dans un second temps la possibilité même d’embarquer tout le monde.

2. La multiplication des accidents aggrave cette situation, en menant un trop grand nombre de rames à l’atelier de réparation. Cela oblige actuellement le TEC a exploiter la ligne avec parfois moins de 15 rames, ce qui n’est pas suffisant (et si les accidents continuent, ça va devenir tout bonnement intenable). Ces accidents sont à mes yeux, pour la plupart d’entre eux, le reflet d’une culture du « tout est permis » qui prévaut chez une minorité d’automobilistes, comme on peut l’observer un peu partout, par exemple dans la banalité du stationnement sauvage (y compris dans les parcs, sur les trottoirs…) ou dans la tranquillité avec laquelle des centaines d’automobilistes peuvent parfois remonter une file en passant par la piste cyclable. Sans réponse ferme de la Police de Liège sur ces incivilités, je pense que ça va rester compliqué. Ceci ne devrait cependant pas empêcher de mener une analyse approfondie des carrefours les plus accidentogènes, pour voir si des améliorations ne peuvent pas être apportées.

3. Ces deux éléments devraient mener le TEC a commander d’urgence de nouvelles rames, afin, d’abord, de pouvoir assurer le service (vu toutes celles qui sont immobilisées), mais aussi, ensuite, d’envisager une augmentation de la fréquence, pour atteindre un passage toutes les trois minutes. Ceci ne sera cependant possible qu’avec une gestion un peu plus fluide des phases de feux — actuellement, les carrefours sont complètement « gelés » au passage d’un tram —, ce qui demandera plus de discipline de la part des automobilistes (hum).

4. Ces nouvelles rames, à supposer que le gouvernement wallon accepte de les financer (?), mettront, ne nous en cachons pas, (beaucoup trop) longtemps à arriver (possiblement plusieurs années), en sorte qu’il va falloir trouver d’autres solutions. C’est-à-dire miser sur le train (certains points d’arrêt pourraient être rouverts très facilement et il faut augmenter l’offre S, pour atteindre quatre trains par heure vers Verviers, Huy, Waremme et Maastricht). C’est-à-dire aussi et surtout sortir, pour partie au moins, du schéma de l’« arrête de poisson », comme je l’ai nommé il y a bien longtemps (c’est-à-dire le rabattement de toutes les lignes de bus sur le tram, en obligeant les usagers à des correspondances supplémentaires qui sont souvent très pénalisantes). Je pense qu’il faut ramailler le réseau, en prolongeant certaines lignes de bus (par exemple remettre en service une ligne reliant Seraing à Liège-centre), et puis idéalement en créant enfin (rêvons) quelques lignes de rocades, reliant les périphéries entre elles (par exemple Ans-Jemeppe-Ougrée-SartTilman ou Ans-Rocourt-Vottem-Herstal). Cela pourrait améliorer considérablement le quotidien de beaucoup d’usagers du bus mais aussi soulager la demande sur le tronçon central du tram et rendre le réseau dans son ensemble plus robuste, en permettant des alternatives au tram, notamment lorsque celui-ci ne fonctionne pas.

5. Enfin, tout ceci montre que le potentiel d’un réseau de transport performant est là. Si le réseau liégeois représente déjà 45% des usagers wallons, il peut faire beaucoup plus, à condition qu’on fasse le choix de construire les infrastructures capables d’absorber cette demande potentielle. En particulier, il est évident à mes yeux qu’on a tous les arguments nécessaires — et bien plus — pour justifier la réalisation des extensions du tram vers Herstal et Seraing, mais aussi pour faire, dès à présent, le choix du tram sur le deuxième axe du réseau (plutôt qu’un « Busway » d’emblée sous-dimensionné), entre Ans et Chênée, où la population desservie est plus importante que le long de la ligne 1, où se trouve un des trois principaux hôpitaux (le Mont-Légia), le principal centre commercial (la Médiacité), etc. À ceux qui me disent que c’est impayable, je rétorque très sérieusement que le non-investissement nous coûte et nous coûtera bien plus cher, en coûts directs (les déplacements automobile coûtent beaucoup plus aux ménages comme à la collectivité que ceux qui sont faits en transport public), mais aussi et surtout en coûts indirects (santé, étalement urbain, dépendance au pétrole et ses conséquences géopolitiques, etc).

Il est plus que temps que la Région wallonne donne à Liège les moyens de son développement !

PS : J’ajoute, chères lectrices et chers lecteurs, que vous pouvez voter avec vos pieds : prenez le tram, chaque fois que l’occasion se présente. C’est la meilleure manière de démontrer à la Région qu’on a besoin de plus d’investissements.