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Notre vie politique dans les crocs de Bouchez

L’idée ne surprend plus : on peut hacker une élection. Un savoir-faire strictement technique dans la manipulation des opinions est en mesure de se substituer à la capacité à convaincre, à l’adéquation d’un programme politique avec les aspirations des électeurs ou la mobilisation militante qui, dans l’idée démocratique, devraient normalement déterminer l’issue d’un scrutin légitime. La maîtrise quasiment totale du paysage médiatique (Macron), le fichage des électeurs et l’envoi massif de messages ciblés par les réseaux sociaux (Trump), l’instrumentalisation de la justice pour torpiller ses adversaires (Bolsonaro) ont permis à des challengers absolus de sortir gagnants de quelques unes des plus importantes élections des dernières années. Il était pourtant évident que la politique qu’allaient mener, chacun dans son style, ces trois figures, s’avérerait profondément nuisible à leur pays et à la très grande majorité des électeurs, ils ont tous trois émergé haut la main.

Dans le même genre, si les sondages se confirment, le premier parti belge sera bientôt d’extrême-droite, grâce là encore à la publicité ciblée sur les réseaux sociaux qui sont devenus le principal et parfois le seul canal d’information de millions et de millions de personnes. Plus personne n’espère gagner une élection majeure sans le support de logiciels de fichage (Nation Builder en particulier). Dans certains pays, la possibilité d’exister politiquement au premier plan est désormais quasiment nulle pour les personnes et les groupes n’ayant pas accès aux ressources donnant accès au game. Johnson, Sarkozy, Berlusconi et d’autres pourraient également être cités pour illustrer ce phénomène, à divers titres.

Au vu de la séquence des derniers jours, il me semble qu’il n’y a plus de doute : une entreprise du même ordre est actuellement en cours en Belgique francophone, des œuvres du jeune président du MR, Georges-Louis Bouchez — dont on rappellera à ceux qui envisageraient de le sous-estimer qu’il est passé en quelques mois du statut d’histrion incontrôlable à celui de président de parti.

Sa stratégie, à ce stade, semble extrêmement simple : se rendre absolument et totalement omniprésent, en multipliant les outrances, les provocations, en intervenant de manière extrêmement clivante sur tous les sujets qui font l’actualité, en mordant à pleines dents et dans l’instant — l’utilisation compulsive de Twitter aidant — dans chaque opportunité médiatique qui peut se présenter.

Le week-end écoulé a été particulièrement impressionnant à cet égard, avec trois faits marquants.

L’ancienne présidente d’Ecolo, Zakia Khattabi, était l’invitée du Grand Oral (RTBF/Le Soir), samedi matin, après près d’un an de silence et ses échecs successifs à faire entériner par le Sénat le choix de son parti à la nommer juge à la Cour constitutionnelle. Cette interview aurait pu prendre bien des tonalités différentes et constituait potentiellement un moment médiatique important, mais une seule chose en ressort : le bras de fer avec Bouchez. Celui-ci, qui nie fermement, aurait proposé (ou fait proposer) un deal à Ecolo sur le dossier « prosumers » en Wallonie en échange des voix du MR au Sénat. Reste que le deal « prosumers » a bel et bien été conclu à l’avantage du MR et que Mme Khattabi n’a pas été nommée à la Cour constitutionnelle.

La manifestation « Black lives matter », ensuite, a réuni, ce dimanche, 10.000 personnes devant le Palais de justice de Bruxelles. Le sujet est consensuel en Belgique et la manifestation aurait pu être un moment d’unité et de ferveur. Sauf que Bouchez a décidé de pilonner le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close, accusé d’avoir permis un événement qui va favoriser la propagation du COVID19. Peu importe que le même rassemblement ait été organisé à Anvers (avec l’aval de son allié NVA) ou à Liège (avec le MR dans la majorité communale), peu importe que tous les observateurs considèrent que la tolérance de cette manifestation était la meilleure solution, pragmatiquement, pour canaliser l’émotion populaire qui devait s’exprimer. Bouchez a cogné, cogné, et il a fini par saturer l’espace, par imposer sa grille de lecture.

On a assisté, enfin, au déboulonnage du président de la FGTB, Robert Verteneuil, qui a eu le tort de faire une communication commune avec Bouchez, sans l’aval de sa base, sur la nécessité, excusez du peu, d’un nouveau « Pacte social ». On reste stupéfait de la naïveté du boss de la FGTB, qui s’est fait prendre comme un bleu dans les rets du jeune libéral. Et on se dit, peut-être, que la FGTB aurait été habile de temporiser ou de gérer ses affaires interne avec plus de discrétion. Reste qu’une fois encore, c’est donc Bouchez qu’on retrouve au centre du jeu, en parangon, cette fois, de la démocratie outragée face au « stalinisme » de la FGTB décapitant un « homme de dialogue ». Il s’est même trouvé une palanquée d’idiots utiles à gauche pour abonder dans son sens, pour dénoncer la PTB-isation de la FGTB qui, comme Bertrand Henne l’a souligné ce lundi matin, n’est pourtant pas le principal facteur explicatif de la décision du syndicat, qu’on peut par contre créditer d’une certaine lucidité par rapport à ce qui se passe.

Bouchez ne s’en cache pas : il cherche à faire basculer le centre de gravité politique et idéologique de la Wallonie vers la droite. Pour cela, outre une énergie débordante s’alimentant dans un imaginaire méritocratie exacerbé, il est prêt à beaucoup de choses et notamment à donner des signaux d’ouverture à l’extrême-droite (avant sans doute une étape de courbe rentrante à l’approche des prochaines élections, sur laquelle les naïfs trouveront inévitablement à s’extasier). Ces signaux à l’extrême-droite, ça fait déjà un moment qu’il est occupé à les envoyer, notamment en s’affichant, à plusieurs reprises, en compagnie de Théo Francken ou en proposant de pénaliser l’accusation de nazisme — une proposition appuyée comme visant à éviter la banalisation des crimes du régime hiltérien, mais offrant, de fait, une forme de protection à son ami Francken et à d’autres figures d’extrême-droite. Dernièrement, on a noté qu’il retweetait et faisait des clins d’œil à des comptes d’extrême-droite sur Twitter.

C’est à la lumière de ce positionnement qu’il faut analyser les polémiques que Bouchez entretient de façon parfaitement délibérée sur la nomination de Khattabi (qui est dans le viseur de l’extrême-droite depuis longtemps), sur une grande manifestation antiraciste ou sur le fonctionnement démocratique d’un syndicat de gauche.

C’est aussi à la lumière de tout cela qu’il faut, rapidement, trouver le moyen d’arrêter de se faire entraîner dans les polémiques qu’il lance.

 

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