Je ne sais pas combien de fois j’ai argumenté, ces dernières années, pour essayer de montrer que les estimations qui circulaient pour chiffrer le coût des voitures de société (le chiffre de 2 milliards d’euros a été beaucoup cité) étaient fortement sous-évaluées.
La publication de ce jour du Bureau du plan, qui évalue _le seul manque à gagner fiscal_ consécutif à ce système à 4,7 milliards d’euros pour l’année 2025 — un chiffre en constante augmentation, de même que le parc de voitures de société — permet de rouvrir le débat sur de bonnes bases.
Quelques remarques à ce sujet :
a) La voiture de société, en tant que fer de lance du « désir automobile » (dont parlait Pierre Ansay), est l’un des principaux facteurs — peut-être même le principal — expliquant l’étalement urbain démentiel que connait la Belgique. Et donc la dépendance aux énergies fossiles, l’appauvrissement des villes et l’hypertrophie du réseau routier qui lui sont consécutifs. Et aussi une partie des difficultés de financement de la Sécurité sociale (car la « voiture-salaire » est un revenu non soumis à cotisation sociale). Entre autres choses. La racine du mal.
b) La voiture de société est un principe fiscal massivement anti-égalitaire, qui redistribue la richesse essentiellement vers les déciles supérieurs de la population et s’oppose donc au principe de progressivité de l’impôt : 45% des bénéficiaires appartiennent aux 10% les plus favorisés de la population (chiffre 2019). Il renforce aussi les inégalités spatiales, puisque les bénéficiaires sont essentiellement domiciliés dans les zones les plus riches du pays.
c) L’explosion du nombre de voitures de société est une manière de contourner la loi de 1996 sur le blocage des salaires, les employeurs du secteur privé ayant trouvé ce système (et d’autres « avantages en nature ») pour mieux rémunérer le personnel dont ils souhaitent s’attacher durablement les services. Il y a là un argument supplémentaire pour faire sauter cette loi inique, car il n’est pas réaliste d’envisager une sortie du système sans prévoir une compensation financière pour les (nombreux) bénéficiaires de ces voitures-salaire.
d) L’impact pour la collectivité est loin, très très loin, de se limiter au seul manque à gagner fiscal, bien sûr. Une approche holistique du problème doit intégrer l’impact direct sur les budgets publics de l’explosion du nombre de voitures (dimensionnement puis entretien des infrastructures routières, en particulier) mais surtout du phénomène d’étalement urbain (qui a fait bondir le coût de tous les réseaux, détruit les villes, fragilisé l’ensemble des services publics, etc), les coûts indirects, pour la collectivité mais aussi pour les ménages, de la pollution de l’air, de l’accidentologie, de la sédentarité. Le coût en qualité de vie pour les urbains de voir leurs espaces de vie mangés par la voiture (circulation et stationnement). Et puis tout cela n’est évidemment pas sans impact sur le climat, donc sur les infinies avanies que le réchauffement climatique nous réserve.
e) L’échelle des budgets dont on parle (même si on ne capte qu’une partie de la manne) serait un game changer complet pour la mobilité. Imaginez un fonds fédéral pour la transition des systèmes de mobilité, doté de 2,5 à 3 milliards d’euros annuels. Ça permettrait, à l’échelle belge, d’acheter 6000 ou 7000 bus (chaque année). Ou de construire entre 50 et 100 km de tramway (chaque année). Ou de réaliser 3000 km de pistes cyclables (chaque année). Ou une combinaison de tout ça et de plein d’autres choses.
Bref : il est temps d’en finir avec les voitures de société.
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