Question écrite du 9 octobre 2014
Monsieur le bourgmestre,
Un accord politique vient d’intervenir, au niveau fédéral, en vue de la formation prochaine d’un gouvernement.
Parmi les nombreuses mesures de régression sociale envisagées par la nouvelle majorité, il en est notamment une qui ne pourra que très difficilement se réaliser sans la collaboration des pouvoirs locaux : la mise au travail gratuit des chômeurs dits « de longue durée », qui sera de fait obligatoire pour de nombreuses personnes. Il s’agira en effet, si l’on en croit les déclarations des négociateurs fédéraux, de la seule manière pour de nombreux chômeurs d’éviter la dégressivité des prestations sociales dont ils bénéficient, c’est-à-dire ni plus ni moins que de survivre. Parler de libre choix dans de telles conditions est tout simplement inadéquat.
Même si le vocable « travaux d’intérêts général », initialement envisagé, sera peut-être remplacé par une formule dont la connotation punitive est moins flagrante (« services à la communauté »), la dimension disciplinaire de ce dispositif est évidente, tout autant que la rupture dont elle témoigne du pacte social en vigueur dans notre pays depuis l’instauration de l’assurance chômage (selon lequel le chômage est un droit, acquis collectivement par les travailleurs à travers la cotisation).
Les conséquences sociales et économiques de cette mesure, si elle se concrétise, risquent de surcroît d’être désastreuses.
Il paraît peu vraisemblable, en effet, qu’une main d’oeuvre soumise au travail obligatoire et donc a priori très peu motivée, puisse, en deux demi-journées par semaine, fournir un travail réellement utile, sans des coûts d’encadrement considérables. À la charge de qui ces derniers seront-ils imputés ? Comment justifier la mobilisation d’importants moyens pour ce faire alors que la grande majorité des chômeurs ne souhaiterait pas mieux que de trouver un emploi ?
De surcroît, accepter que le service public commence à être rendu en s’appuyant sur du travail forcé serait une rupture de digue sans précédent depuis l’occupation de notre pays par les armées allemandes. Va-t-on admettre que ceux qui démolissent la fonction publique depuis trois ou quatre décennies viennent nous proposer des travaux forcés pour suppléer aux besoins qu’ils ont largement participé à créer ? Va-t-on admettre que les agents du service public soient menacés d’être remplacés par des personnes soumises au travail obligatoire ? Va-t-on admettre de voir des emplois supprimés – et donc le chômage augmenter – parce qu’on aura organisé la mise au travail gratuit des chômeurs ? C’est dans une véritable spirale de régression économique, sociale et démocratique que de telles mesures vont nous entraîner si nous les laissons passer.
Certains travailleurs sont aujourd’hui convaincus que le chômage est une « charge » trop lourde qui pèse sur leurs épaules. Le rôle des progressistes est de rappeler inlassablement que le droit au chômage est d’abord et avant tout une protection pour tous les travailleurs. Et que chaque recul du droit au chômage entraine mécaniquement une pression accrue sur l’ensemble des travailleurs. Plus que jamais, « l’armée de réserve » est utilisée comme levier pour faire baisser les salaires et pour dégrader les conditions de travail. L’état du « dialogue » social dans notre pays en témoigne. La mécanisation, l’automatisation, l’informatisation de nombreux processus productifs, si elles permettent de libérer du travail une plus grande partie du temps humain, peuvent pourtant être de très bonnes choses, mais pas dans n’importes quelles conditions : il faut que nous organisions la répartition du travail restant entre tous, pour permettre à chacune et chacun de participer à la production de la richesse collective. C’est l’exact inverse qui nous est ici proposé.
Ma question est donc simple : êtes-vous en mesure de savoir si la Ville de Liège pourra, légalement, refuser purement et simplement de collaborer à ce dispositif ? Et, dans l’affirmative, le Collège communal est-il prêt à assumer une telle position ?
En l’attente de vous lire, je vous prie de croire, Monsieur le bourgmestre, en l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
François Schreuer,
conseiller communal
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