Intervention générale sur le budget 2016 de la Ville de Liège.
Le contexte dans lequel évoluent les finances communales, en cette fin d’année 2015, est extrêmement difficile, plus difficile qu’il ne l’a été depuis longtemps, malgré les quelques coups de pouce donnés, à divers titres, par la Région wallonne. C’est un fait. Je ne vais pas revenir sur la diversité des avanies que nous avons à endurer. Elles ont été largement exposées avant que je ne prenne la parole, cette année ainsi que lors des précédents débats budgétaires.
J’ajoute qu’en comparant la situation de la Ville de Liège à celles des autres grandes villes wallonnes, on se dit que la situation pourrait être pire encore.
Mais si vous maintenez le navire à flot, c’est au prix, parfois, de certaines compromissions : je pense par exemple au saut d’index décidé par le gouvernement fédéral et abondamment décrié, à raison, par les partis qui sont représentés dans votre majorité. Il permet une économie substantielle sur ce budget par rapport à la trajectoire normale. Une attitude cohérente aurait consisté à mobiliser l’économie réalisée par ce saut d’index au profit de politiques favorables au personnel, et les possibilités ne manquent pas à cet égard. Reconnaissons cependant que la rénovation de la Cité administrative, ainsi que le projet de la rue de la Tonne, vont améliorer les conditions de travail d’une partie des agents de la Ville, ce dont je me réjouis.
Je note aussi que certaines économies que vous réalisez sur le fonctionnement — sur les assurances, les déchets, le papier,… —, si elles sont à mettre à votre crédit et contribuent à une meilleure gestion de la Ville, auraient sans doute pu être réalisées depuis longtemps. Ce sont des centaines de milliers d’euros qui auraient pu — et donc dû —, au cours des années précédentes, être mieux utilisées.
Nous éviterons donc, ce soir, de sortir la sulfateuse. Parce que nous savons que, s’il nous revenait de conduire cet exercice budgétaire, toutes contraintes restant égales par ailleurs (et c’est là la difficulté : les contraintes viennent largement de l’extérieur), nous nous retrouverions, comme vous l’êtes, comme nous le sommes tous, en fait, dans une situation particulièrement délicate. Il n’est pas possible, comme d’aucuns le demandent, d’augmenter les dépenses tout en réduisant les recettes. Je ne pense pas que le débat gagne à donner du crédit à de telles postures. Bref : nous nous abstiendrons d’essayer de faire croire à qui que ce soit qu’il suffirait d’une alternance politique pour sortir instantanément la Ville de Liège de ses difficultés.
Il me semble cependant important de rappeler une fois encore que la politique d’austérité, décidée à l’échelle européenne et dont nous subissons les conséquences, est à la fois profondément injuste et dramatiquement contre-productive. Elle nous fait souffrir en vain. Le devoir des municipalistes conséquents est donc de la dénoncer avec vigueur et constance et de réclamer la fin de cette politique, notamment par un refinancement significatif des pouvoirs locaux. Sur ce terrain, nous attendons plus et mieux de votre part.
Cette précaution liminaire étant posée, venons-en au fait.
Avant toute chose, quoi que vous disiez, nous sommes bel et bien engoncés dans une crise. Et comme toute crise, celle-ci ne peut avoir qu’un temps. C’est le sens même de ce mot. Ce temps est celui pendant lequel peuvent jouer les mécanismes de défense d’un organisme, le temps où ce que les économistes nomment les stabilisateurs incorporés peuvent jouer leur rôle. La crise est éventuellement aussi le temps d’une remise en question. Mais que la crise vienne à s’éterniser et l’on entre dans autre chose. Le muscle s’anémie, les réflexes s’amenuisent, le cartilage des genoux racle le bitume. C’est l’os. Et nous y arrivons. Une partie des Liégeoises et des Liégeois y sont déjà. Silencieusement. Passant à travers les mailles d’un filet social de plus en plus abîmé, des destins individuels s’enlisent, survivent par la débrouille, souvent à l’insu de bon nombre des structures institutionnelles. Vous dites, vous écrivez, Monsieur le bourgmestre, Monsieur l’échevin, que les Liégeois qui travaillent ne s’appauvrissent pas. Le moins qu’on puisse dire est que c’est un peu court. Sur quoi basez-vous cette affirmation péremptoire ? Sur une moyenne ! Oui, sur une moyenne. Depuis quand est-ce qu’une moyenne donne la moindre indication sur un écart-type ? Vous cherchez toujours la réponse à cette bizarrerie statistique, venez-vous de nous dire. Au contraire de votre optimisme dont vous ne savez pas expliquer sur quoi il se fonde, beaucoup d’éléments nous laissent penser que nous faisons face à un accroissement des inégalités. Et la prospérité se mesure aussi de manière relative.
Je vous dis donc, pour ma part, que notre ville est le théâtre de noyades aussi quotidiennes que silencieuses. De ce que quelques bons observateurs du social ont nommé « sherwoodisation ». Il est plus que temps d’y songer avant que le boomerang ne revienne à toute berzingue.
Cela étant dit, permettez-moi d’essayer d’élargir un peu l’angle de vue dans ce débat. Car l’exercice budgétaire est un exercice de projection : il s’agit non seulement, donc, d’anticiper la réalité que l’on s’apprête à rencontrer, mais aussi — surtout ? — de s’interroger sur la manière dont on peut agir sur elle. L’exercice budgétaire impose l’identification des enjeux, le choix de priorités. Il suppose la capacité à construire une stratégie sur base d’une lecture éclairée des faits.
Or, si, sur le registre défensif, Mesdames et Messieurs les membres du Collège, vous semblez vous y entendre relativement bien — quoi qu’il y ait parfois quelques sérieux couacs comme on va le voir —, je n’en dirais pas autant dans le registre prospectif, tant votre gestion me semble année après année, marquée par une myopie, par un manque d’anticipation. Le budget que vous nous présentez est désespérément scolaire, attendu. Il ne sort pas des clous. Alors que l’époque réclame de l’audace, l’ouverture de voies nouvelles, votre mot d’ordre, avec une constance désespérante, comme vous venez de nous le rappeler, est : « stabilité ».
Pourquoi en sommes-nous là ?
Parce vous, d’abord, manquez d’une vision précise des phénomènes à l’oeuvre. La présentation de ce budget, à elle seule, témoigne de ce problème. C’est par exemple clair sur la dette : son étalement dans la durée n’est pas clair à nos yeux. Nous souhaiterions disposer d’un tableau synoptique permettant d’évaluer précisément les choix que vous avez faits.
Un autre exemple est celui des coûts cachés, qui n’apparaissent nulle part mais pèsent lourdement sur le budget. J’ai eu l’occasion, au cours de l’année écoulée, de questionner des professionnels du bâtiment au sujet des conditions de payement pratiquées par la Ville de Liège. Selon eux, le surcoût qu’ils sont amenés à deviser puis à facturer en raison des notoires retards de payement de la Ville atteint au minimum 10% du montant des chantiers — parfois bien plus. C’est le prix du risque que la Ville fait courir aux entreprises en tardant parfois pendant des mois et des mois à les payer. Nous parlons donc de plusieurs millions d’euros par an, ce qui permettrait de financer bien des politiques nouvelles. Ceci mériterait une réflexion sur la manière de faire évoluer cette situation. J’y reviendrai prochainement.
Notons aussi que, si vous vous êtes abondamment rengorgé de l’« effet cliquet » supposé jouer à partir de 2017 sur la dotation obtenue du fonds des communes, celui-ci s’avère in fine nettement moins avantageux et prévisible que ce qui était dit encore l’année dernière. Pourquoi ? Pour deux raisons. Parce que, d’abord, l’inflation est moins élevée qu’attendu. Mais aussi parce que le fonds des communes est une enveloppe fermée et que la modification de l’attitude des autres communes de Wallonie — dans le sens d’un renchérissement des additionnels à l’IPP — joue en notre défaveur. On aurait apprécié un peu plus de prudence dans les projections communiquées à ce propos lors des précédents débats budgétaires.
Surtout, nous avons, Monsieur le bourgmestre, Monsieur l’échevin, besoin d’outils transversaux d’analyse de la dépense et de la recette. Nous avons besoin d’outils analytiques à la hauteur d’un budget d’un demi-milliard d’euros. Je pense ici à la mise en place d’un gender budgeting, qui permette d’évaluer la dépense publique sous l’angle du genre. Je pense aussi, sur le même mode, à la mise en place d’un social budgeting qui nous aiderait à savoir quelles catégories sociales profitent, à quelle hauteur et de quelle manière, du budget de la Ville.
Je pense encore à la création d’un organe statistique à l’échelle communale — ou mieux : à l’échelle de la Communauté urbaine —, qui sera notamment chargé de publier un tableau de bord annuel détaillé de chaque quartier et sous-quartier. Localisation et évolution de l’emploi, taux de rotation dans le logement locatif, présence du logement social, disponibilité des espaces verts, offre d’enseignement, présence d’équipements collectifs, évolution fine de la pyramide des âges,… Couplée à des outils plus fins d’analyse budgétaire, ces données nous permettrons notamment de savoir quand nous gagnons de l’argent mais aussi quand nous en perdons. Ce dont je doute que vous ayiez toujours une idée très claire.
Mais, au-delà de ce problème de navigation à vue, perdu que vous êtes dans le brouillard d’un réel qui se dérobe à vous, dans le ronron d’une majorité qui est en place depuis 27 ans et ne semble guère s’être remise en question depuis plusieurs mandatures, je pense surtout à l’absence d’un cap. Parce que vous manquez d’une vision ambitieuse et fédératrice de ce que la ville doit devenir. Parce que vous n’avez aucun récit collectif à proposer, dans lequel nous pourrions nous inscrire.
Quel est l’enjeu ?
Liège perd des habitants.
S’il y a une chose qui était claire, dans la première présentation du travail mené dans le cadre du « Schéma de développement territorial » de l’arrondissement, dont je parlais hier, c’est que, comme nous le disions depuis des années, l’exode urbain se poursuit, sans discontinuer, depuis des décennies. S’il a été compensé par d’autres dynamiques démographiques pendant les dix dernières années, il ne l’est plus que partiellement. La population évolue, donc, et pas dans le sens que vous semblez supposer ou espérer. Si boom démographique il y a, il dépendra d’abord de la capacité de la Ville de Liège à le rendre possible. Ce boom démographique, ensuite, sera principalement composé de personnes âgées, seules, fragiles, et non des fameuses familles à haut pouvoir contributif.
Comment en finir avec le phénomène délétère de l’étalement urbain ? Certaines recettes sont facile à trouver.
Fondamentalement : rendre la vie des Liégeois meilleure, au quotidien. Créer de la qualité de vie dans les quartiers. Dans tous les quartiers.
Rendre la vie en ville compatible avec les attentes des citoyens, et notamment des familles. Les Liégeois de ma génération, qui ont de jeunes enfants et, pour certains d’entre eux, posent le choix d’un éloignement vers la périphérie plus ou moins proche, le font rarement de gaieté de cœur. Il le font souvent parce qu’ils estiment qu’il leur est devenu trop difficile de continuer à habiter en ville.
La réponse à leur donner réside fondamentalement dans la défense d’un modèle pour la ville réellement urbain, dans la défense du choix positif de vivre dans la ville, avec tous les avantages que cela permet.
De tout cela, que nous dites-vous ?
Essentiellement, si l’on observe la politique que vous menez, qu’il faut singer le mode de vie périurbain, avec son urbanisme zoné et dédensifié.
Pour ce faire, vous avez gaspillé et vous continuez à gaspiller le terrain, notamment public, d’une façon éhontée, en lotissant par hectares entiers de précieux terrains communaux avec des densités tout à fait inadaptées.
Au Chanmurly, à Rocourt, au Thier-à-Liège, à Jupille, au Pré-Aily,… Maintenant à Fayembois. Demain à Chênée et ailleurs. Et dans bien d’autres endroits, vous gaspillez le foncier, ce que les générations à venir auront tout le loisir de regretter lorsque le terrain viendra à manquer et lorsqu’il faudra assumer les coûts de cet urbanisme.
Plus encore que la ressource foncière, vous misez d’importants moyens sur ces développements, laissant, dans l’ensemble, les quartiers existants, ceux où vivent la majorité des Liégeois, dans une situation de relatif abandon. Message désastreux s’il en est. Et ce ne sont pas quelques grandes opérations somptuaires et décalées par rapport aux besoins réels — comme l’« écoquartier » de Coronmeuse — qui vont changer cela.
Cette politique est celle qui nous mène aux statistiques démographiques que l’on connait. Cette politique est celle de la défaite du fait urbain. Son message est clair : on mise sur l’attraction de nouveaux habitants, au détriment de ceux qui sont déjà là, que l’on tient, à bien des égards, pour captifs. Certes, il y a des nuances dans les discours que nous entendons, et, dans ce débat, je me tiens plutôt au côté de Maggy Yerna lorsqu’elle rénove Souverain-Pont ou ouvre le chantier de Sainte-Marguerite qu’à celui d’André Schroyen qui a tant fait pour promouvoir les quatre-façades.
La seule politique qui peut inverser la vapeur est de remettre le cap sur les quartiers, avec des recettes connues.
- Une réduction ferme et décidée de la pression automobile, en particulier celle qui a trait à la pénétration urbaine. Des mesures simples et peu couteuses pourraient être mises en place rapidement, parfois simplement avec un peu peinture, par exemple en créant de nouveaux sites propres pour le transport en commun et le vélo, comme l’a fait Bertrand Delanoë dans les mois qui ont suivi son élection à la mairie de Paris.
- La multiplication des espaces verts de proximité ; et l’augmentation de la qualité des espaces publics, aujourd’hui largement déficiente, à quelques exceptions près.
- Une amélioration de la démocratie locale. Parce que l’idée même de la ville est indissociable de celle du débat public. Et qu’un très grand nombre de nos concitoyens attendent une amélioration substantielle sur ce plan. L’interpellation de M. Maraite, hier, a encore démontré la marge de progression que vous avez dans ce domaine, avec un outil aussi élémentaire que la CCATM. Nous attendrions dans ce budget une claire orientation en faveur des outils démocratiques de proximité : meilleur soutien aux comités de quartier et à l’associatif local en général, budgets participatifs, open data, création d’espaces de réunion et de travail pour les associations dans les quartiers qui en sont encore dépourvus,… À cet égard, la nouvelle religion des « smart cities », au-delà du slogan à la mode, mérite d’être clarifiée, tant ces processus identifiés sous ce label mènent parfois, souvent, à une captation de la décision publique par les technocrates.
- La mise en place d’un service de transport public permettant d’enrayer la fuite-en-avant vers le tout-à-la-voiture à laquelle on assiste pour le moment. Donc aussi le soir et le week-end et en allant rapidement vers un réseau maillé plutôt qu’en conservant l’actuelle architecture monocentrée du réseau. Les habitants de la ville ne sont pas que des travailleurs, ils ont beaucoup d’autres raisons de se déplacer que les trajets domicile-travail ou domicile-école.
- En misant sur la rénovation du bâti et une amélioration de la qualité de l’offre de logement, à travers la diversité de mécanismes disponibles, notamment l’Agence immobilière sociale.
Où sont ces priorités dans le budget que vous nous présentez ? Je peine à les trouver.
Par contre, vous nous parlez de terrorisme, de sécurité. Encore et encore. Il me semble que c’est le sujet qui vous aura le plus mobilisé au cours de l’année écoulée, celui qui aura suscité des réunions extraordinaires.
Et le budget que vous nous présentez, Monsieur le bourgmestre, avec ses marges si limitées, est un budget que l’on pourrait qualifier d’antiterroriste.
Bien sûr, cette volonté de prévenir les attentats témoigne d’une préoccupation pour la vie humaine qui vous honore. Mais vous êtes victimes, je le crains, d’un effet d’optique. L’importance médiatique démesurée prise par le terrorisme vous amène à sur-réagir à celui-ci tout en négligeant d’autres problèmes qui mettent en danger la vie de nos concitoyens d’une manière beaucoup plus importante.
Laissez-moi vous donner un exemple.
Au XXIe siècle, l’Europe a dénombré 592 morts dans des attentats terroristes, selon la Global terrorism database. Soit 37 par an en moyenne. Même si deux personnes originaires de notre région ont trouvé la mort dans les attentats de Paris — je salue ici leur mémoire —, aucun acte terroriste n’a été commis à Liège au cours de ce siècle.
Dans le même temps, selon une étude récente de l’OCDE et de l’OMS, la pollution de l’air provoque 600 000 morts par an en Europe. Soit plus d’une personne sur mille. Chaque année. Autrement dit, un Européen a, si l’on se base sur les chiffres des quinze dernières années, plus de 10 000 fois plus de chances de mourir à cause de la pollution de l’air que dans un attentat terroriste. Pour un Liégeois, ce ratio est sans doute encore très nettement plus marqué puisque des pics de mortalité largement supérieurs à cette moyenne sont observés dans les métropoles industrielles du cœur du continent. Au bas mot, plusieurs centaines d’habitants de notre ville meurent prématurément chaque année à cause de la pollution de l’air. Probablement plus.
Il ne s’agit évidemment pas ici de minimiser la douleur des victimes du terrorisme et de leurs proches. Bien au contraire. Chaque vie humaine compte et une société s’élève à ne jamais oublier la valeur d’aucune d’entre elles. Il s’agit par contre de ne pas donner à leurs assassins la victoire politique qu’ils recherchent. Ce que l’on fait en se laissant entraîner dans la surenchère sécuritaire qui prévaut de plus en plus — quand ce n’est pas une logique belliqueuse.
Mais donc : devant ce constat frappant en matière de santé publique, devant ces centaines de Liégeois qui meurent chaque année du fait de la pollution de l’air, que faites-vous ?
C’est bien simple : vous misez une part importante des marges budgétaires disponibles sur le sécuritaire. Vous achetez à foison des armes et du matériel de police. Vous poursuivez l’investissement dans les caméras de surveillance. Vous mobilisez un million d’euros pour l’engagement de policiers supplémentaires, alors que Liège consacre déjà une part très conséquente ses moyens à sa police. De surcroît, vous le faites d’une manière dont l’efficacité est des plus douteuses. Parce que non — et croyez bien que j’en suis fort désolé —, multiplier les gardes en faction devant diverses cibles potentielles ne constitue pas une réponse tactiquement satisfaisante à la menace. Dès lors que tout rassemblement humain est potentiellement une cible pour le terrorisme, la réponse ne peut pas se trouver sur le terrain des armes. Il n’est tout simplement pas possible de protéger chaque bus, chaque école, chaque terrasse de café.
Dans le même temps, vous poursuivez tranquillement le vieux modèle du tout-à-la-voiture. Malgré une opposition massive des usagers et habitants des lieux, vous tenez à toute force à construire un parking sous la place Cockerill. Vous persistez à soutenir une autoroute CHB dont il est pourtant clair qu’en augmentant la périurbanisation à l’Est de l’agglomération, elle contribuera à appauvrir la ville, sans apporter de réelle solution de mobilité car trop éloignée du centre (au moins, la proposition de tunnel sous la Chartreuse, défendue in illo tempore, avait à cet égard le mérite de la cohérence que n’a pas CHB). Vous cautionnez un système, dispensable, de financement du tram — le PPP — qui a mené le dossier dans l’impasse et nous fait perdre, mois après mois, un temps précieux alors que le besoin de ce tramway est plus qu’urgent. Vous poursuivez une politique d’urbanisation qui permet que l’on construise des lotissements entiers à l’écart de tout transport public (et même qu’on les nomme « écoquartiers », le cas échéant). Il a fallu une pétition de plus de 6 000 signatures et la mobilisation de tout un quartier pour que le choix soit posé de reculer sur le projet de liaison routière vers l’hôpital de la Citadelle.
Mais ne voyez-vous que vous faites fausse route ? Que les meilleures intentions qui, je veux le croire, vous animent, vous égarent tout aussi bien ? Ne voyez-vous pas que les urgences sont ailleurs que dans le renchérissement indéfini des moyens consacrés à la sécurité et dans la mystique de l’automobile ?
Monsieur le bourgmestre, le budget que VEGA attend de vous, celui que bon nombre de Liégeois attendent de vous, notamment parmi la jeunesse, est un budget qui donne la priorité aux enjeux du quotidien. Qui rende meilleure la vie de toutes et tous, dans le logement, dans la mobilité, dans l’accès aux services publics.
On fait cours dans des écoles aux vitres brisées, sommairement réparées. On accueille de tous petits enfants dans des bâtiments vétustes et exigus, parfois même dépourvus d’espace extérieur. On n’indexe pas, depuis des années, les subventions à des associations qui font pourtant un travail essentiel dans de multiples domaines, ce qui les étouffe à petit feu. On rame péniblement pour espérer atteindre un jour la norme de 10 % de logements sociaux fixée par la Région. On sait que le CPAS est à l’os et on s’en accommode.
Dans une situation de crise, il faut semer ce qui rendra demain plus vivable qu’aujourd’hui.
À cet égard, plusieurs propositions nous semblent fondamentales.
- Créer, comme je l’ai déjà évoqué, au sein de l’administration, ce bureau des statistiques. Il sera notamment chargé de réaliser un tableau de bord permanent de chaque quartier, de déceler les problèmes pour y remédier, autant que possible, avant que l’épuisement ne pousse certains de nos concitoyens à déplacer leur domicile hors du territoire communal.
- Miser sur la supracommunalité. Parce que c’est la condition à un financement plus juste des infrastructures communes et à certaines économies d’échelle. Mais aussi et surtout parce que ce doit être le moyen d’organiser le débat démocratique sur les grandes matières urbaines gérées à l’échelle de la métropole. Et là, force est de constater que, malgré la multiplication des effets d’annonce, nous stagnons depuis de trop longues années. Pour une raison simple : il faudrait une révision de la Constitution pour permettre l’outil dont nous avons besoin. Notre thèse à cet égard, un peu ad hoc sans doute mais pragmatique, est que la seule manière efficace de procéder est d’envisager une nouvelle fusion des communes, procédure qui dépend de la seule Région wallonne et qui permettra à la Ville de Liège d’atteindre 400.000 habitants, et donc de mener certaines politiques aujourd’hui inatteignables.
- Initier un nouveau projet de parc chaque année, en commençant par les quartiers qui en sont dépourvus. À cet égard, je pointe notamment Grivegnée-Bas, Jupille — où des promesses ont été faites aux habitants au moment de la démolition de la tour Piedboeuf, toujours en souffrance, comme nous le rappelle une pétition qui circule actuellement — ou le Longdoz.
- Mobiliser enfin l’AIS à la hauteur de son potentiel, à la hauteur à laquelle cet outil est utilisé par d’autres grandes villes en Wallonie. En lui donnant les moyens de décupler son action, en pesant plus activement sur les propriétaires de logements inoccupés. Car, dans l’état actuel des choses, la politique du logement public ne pourra pas tout.
- Mobiliser des moyens pour augmenter la maîtrise foncière sur les sites à enjeux, qui se multiplient : Bressoux, Sclessin, Sainte-Marguerite, le Boulevard de l’automobile, etc. La plus-value foncière produite par des projets publics, le tram au premier rang d’entre eux, mais d’autres également, sera conséquente. Nous pourrions la capter en instaurant un droit de préemption de fait sur les terrains à enjeux — à travers l’expropriation pour cause d’utilité publique en attendant qu’un réel droit de préemption figure dans le droit wallon. Nous proposons, une nouvelle fois, d’affecter cinq millions d’euros à cette politique. Avec l’ambition de voir ce capital nous permettre de dégager des moyens nouveaux.
- Mutualiser les énergies renouvelables à travers une régie communale dédiée. Notre thèse à cet égard est connue : plutôt que de subsidier les particuliers à grands coups de certificats verts comme on l’a fait pendant 10 ans, mobilisons les moyens publics pour créer des infrastructures publiques de production d’énergie verte. Qui bénéficieront à tous les citoyens. Et pas uniquement à ceux qui peuvent allonger l’investissement et qui ont une toiture bien exposée, ce qui est particulièrement injuste. Nous proposons, pour commencer, de doter cette Régie d’un million d’euros par an.
- Réduire substantiellement le prix du transport public. En profitant du fonctionnement du fonds des communes pour mobiliser un à deux millions d’euros supplémentaires. Une augmentation d’un demi-point des additionnels à l’IPP rapporterait, en ligne directe, près de 3 millions d’euros. Il rapporterait aussi un montant de près de deux millions d’euros de la part du fonds des communes. Ces cinq millions seraient immédiatement reversés aux Liégeois, du moins à ceux qui font le choix du transport public, sous la forme d’abonnement à prix réduits. Il s’agirait aussi d’une manière très concrète, en augmentant la demande pour le transport public, d’amener la Région à s’engager plus et mieux qu’elle ne le fait aujourd’hui pour le transport public à Liège.
Bref, dans l’état actuel, le budget que vous nous proposez nous semble mener à l’engourdissement, à l’instar de la grenouille qui marine dans l’eau qui chauffe et se prépare un destin tragique. Engourdissement face à l’urgence sociale. Engourdissement face à l’urgence démocratique. Engourdissement par rapport à une transition qui n’est restée jusqu’à présent qu’un slogan.
Sauf à ce que les propositions que nous formulons pour corriger cette tendance ne soient prises en compte, j’aurai donc le regret de voter contre le projet de budget que vous nous présentez ce soir.
Je vous remercie pour votre attention.
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