Ce lundi 8 septembre, le Conseil communal devait se prononcer sur un nouveau budget de plus de 1,2 million d’euros pour le renouvellement et le développement du réseau de caméras de surveillance opéré par la police de Liège. Comme de coutume sur les décisions de ce type, j’ai voté contre (de même que les groupes Ecolo et PTB).
Mais j’ai aussi décidé de rendre public le fait que les caméras actuellement installées sont très loin de satisfaire aux exigences légales en matière de respect de la vie privée. J’ai posé ce constat à plusieurs reprises depuis mai 2013, date à laquelle – la seule fois depuis le début de la mandature communale – s’est réunie la Commission de vigilance sur les caméras de surveillance. Depuis lors, j’ai interpellé une demi-douzaine de fois le bourgmestre, en Commission, sur cette situation ; et je me suis rendu à plusieurs reprises à l’hôtel de police pour observer l’évolution des systèmes techniques. En vain : à ce jour, j’affirme que les caméras de surveillance de la Ville de Liège permettent de visualiser de façon distincte l’intérieur de plusieurs centaines – probablement plusieurs milliers – d’habitations.
Ces informations n’ont pas été démenties par le bourgmestre ni par le chef de corps (qui s’est par contre lancé dans un long exposé sur les usages et mérites de la vidéo-surveillance). En dépit de cette situation dans laquelle il était démontré que les engagements qu’ils ont eux-mêmes pris vis-à-vis du citoyen ne sont pas tenus, les groupes PS, MR et CDH ont quand même voté les trois points relatifs à la vidéo-surveillance. Devant cette fuite en avant, cette incapacité incroyable à prendre en compte des éléments lourds qui auraient dû, a minimum, provoquer une évaluation de la situation avant toute décision, j’ai annoncé que je saisirais la Commission fédérale de protection de la vie privée (ce que j’ai donc fait).
Mardi matin, l’information sort dans plusieurs médias (notamment Belga et la RTBF). Je suis contacté, dès potron minet, par le JT de la RTBF, qui souhaite, comme c’est son rôle, vérifier mes affirmations. Nous nous sommes donc rendus à l’hôtel de police où, non sans quelques difficultés (en dépit de ma qualité de membre de la Commission de vigilance sur les caméras de surveillance, la police n’accepte d’ordinaire de me donner accès à la salle de contrôle que sur rendez-vous, ce qui me semble sérieusement problématique), nous sommes parvenus à entrer dans la salle de contrôle des caméras de surveillance.
Les journalistes de la RTBF, Perrine Willamme et Michel Grétry, ont pu constater l’exactitude de mes affirmations sur le caractère extrêmement lacunaire des caches logiciels gris supposés empêcher l’accès des caméras dans les logements. Nous avons également constaté l’absence pure et simple de cache sur certaines caméras (faute de temps pour les installer, selon les officiers chargés des caméras). Nous avons demandé au fonctionnaire de faction de zoomer sur plusieurs fenêtres, et nous y avons vu, distinctement, ainsi que le montre le reportage de la RTBF, les personnes qui se trouvaient à l’intérieur. Aucune des caméras qui nous ont été montrées (d’ancienne ou de nouvelle génération) ne satisfaisait à ce qui a été promis par l’autorité communale. L’affirmation selon laquelle l’investissement dans de nouvelles caméras améliorerait la situation au plan du respect de la vie privée me semble très loin d’être avérée (ne serait-ce qu’en raison du fait que l’augmentation des performances des caméras – zoom, résolution, vision nocturne,… – augmentent également leurs capacités d’intrusion).
Interview de François Schreuer sur les caméras…
Mardi, en fin de journée, comme annoncé, j’ai adressé un courrier à la Commission de protection de la vie privée.
Dans le même temps, la contre-offensive communicationnelle se met en place. Un appel à témoin est lancé et très largement diffusé (notamment juste après le JT dans lequel passe le reportage tourné le matin), concernant une tentative de meurtre ayant lieu le 3 mai Boulevard de la Sauvenière. Les photos de 5 personnes présentes sur les lieux et présentées comme des « témoins potentiels » sont diffusées, dans le but de les identifier. Rares sont les voix à faire remarquer que la présence de la caméra de surveillance (pourtant supposée dissuasive) n’a pas empêché les faits de se produire. Mais surtout, on ne lit rien nulle part sur le risque qu’il y a à diffuser les visages de plusieurs personnes présentées comme des témoins, dans un contexte qui peut laisser penser qu’ils sont un peu plus que cela. On imagine les conséquences incontrôlables que la diffusion de ces images pourrait avoir pour les intéressés, quel que soit le rôle qu’ils ont joué.
Mercredi matin, Le Soir , L’Avenir et Today in Liège reviennent sur le sujet en mettant clairement le problème en exergue (Le Soir met également en ligne une carte des caméras actives sur le territoire communal). La Libre Belgique sort également un papier sur le sujet, mais celui-ci ne dit rien des informations de la veille.
Mercredi, je donne une interview surréaliste au journal Métro, dont la journaliste choisit – d’une façon qui reste pour moi inexplicable – de passer tout simplement sous silence l’information centrale (les caméras filment à l’intérieur des logements) pour se limiter à un débat abstrait sur les caméras (on se demande du coup ce que je viens faire dans ce débat).
Mercredi fin de journée, le Chef de corps convoque une réunion de la Commission de vigilance sur les caméras de surveillance, qui aura lieu le 23 septembre. Gageons que cette séance devrait être un peu plus fréquentée que la précédente. Mais aucune réaction ne se fait entendre : aucune voix politique ne s’exprime, ni dans la majorité (qui laisse le chef de corps de la police, Christian Beaupère, prendre les coups et fait le gros dos en attendant que ça passe) ni, ce qui est plus surprenant, dans l’opposition (on devine le MR un brin embêté, quand même, sur les réseaux sociaux). Jeudi, ledit chef de corps de la police était l’invité de Vivacité , sans qu’une seule question ne lui soit posée sur le sujet. La complaisance journalistique ordinaire avait repris ses droits.
De manière générale, tout au long de la semaine, j’ai perçu une énorme frilosité de la part de bon nombre de mes interlocuteurs à simplement prendre acte de faits établis – a fortiori à en tirer des conséquences politiques ou un commentaire journalistique à la hauteur du problème soulevé.
Je me l’explique par la conviction très répandue – sans doute non dénuée de fondement – que la population souhaite, très majoritairement, le déploiement de caméras de surveillance ; et cela y compris, pour une partie de nos concitoyens (certains commentaires reçus cette semaine en témoignent), si cela doit impliquer un recul de certaines libertés fondamentales.
Je pense que c’est là qu’il faut mener le débat. Je reste profondément convaincu que, peut-être à l’exception de lieux très particuliers (le Carré à Liège, mais guère au-delà), les caméras de surveillance présentent, au plan de la lutte contre la criminalité, un rapport coût/efficacité très peu avantageux (je peux par contre leur reconnaître une utilité en matière de gestion du trafic). Mais surtout, j’ai la conviction qu’elles participent à une transformation délétère de l’espace public – et même de l’espace social dans son entier – en rappelant sans cesse – souvent à tort – le danger qu’il constitue, en en faisant un lieu de peur et de tension, ce qui, à long terme, finit par avoir un effet performatif, autoréalisateur. Ne serait-ce que parce bon nombre de personnes – sous l’influence de ces discours « sécuritaires » – finissent par se terrer chez elles, ce qui contribue à la désertification de l’espace public dès le soir tombé et donc, effectivement, à le rendre dangereux. Et donc, très certainement, à justifier le déploiement d’un arsenal répressif encore plus important.
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