Le gouvernement Arizona annonce fièrement, joyeusement — comment peut-on se point se réjouir du malheur des gens ? — qu’il va priver de leur droit au chômage 180.000 personnes au cours de l’année 2026. Cent quatre-vingt-mille personnes.
Derrière ces 180.000 personnes, il y a des familles, des enfants, qui vivent désormais dans l’angoisse car il savent que le risque est élevé pour elles & eux de basculer dans la misère.
Derrière ces 180.000 personnes, il y a aussi des quartiers, des communes et des régions, qui seront plus touchés que d’autres : les quartiers populaires des grandes villes du Sud du pays, essentiellement, qui vont prendre de plein fouet cette attaque de la coalition des droites, dont le caractère anti-urbain trouve ici une énième illustration.
Cette mesure, elle ne vise pas à mieux dépenser l’argent public : son impact budgétaire sera limité, on parle de deux milliards d’euros d’économie annuelle pour le budget fédéral, dont une partie sera de surcroît compensée par des communes déjà exsangues. Cette coupe aura aussi des effets retours négatifs sur l’économie, en réduisant la consommation populaire — celle des familles directement touchées, mais aussi de toutes celles qui craignent de l’être —, des retours négatifs qui n’ont pas été évalués à ma connaissance. Ces deux milliards, on peut les mettre en perspective, par exemple, avec le surcoût de 12,9 milliards d’euros (!) qui a été dénoncé au mois d’avril par la Cour des comptes sur un (UN !) contrat d’achat d’armement.
Cette mesure ne vise pas non plus à rendre notre système de protection sociale plus protecteur pour les personnes qui restent peu de temps au chômage, comme on a pu l’entendre. A priori, en effet, une augmentation du montant des prestations semblait le corollaire logique de la limitation dans le temps. Mais bernique ! Au point, explique l’économiste Xavier Dupret (à Bonjour le débat) que « La Belgique va avoir la législation la plus dure, non seulement d’octroi des allocations de chômage, mais aussi du montant de ces mêmes allocations ! On est loin des montants alloués en France » (via Michel Henrion).
S’agit-il alors de mieux aider les chômeurs à retrouver un emploi ? Cela semble douteux. Là où Les Engagés promettaient pendant la campagne électorale un emploi garanti pour toute personne au bout de deux années de chômage, on aura juste une intensification du contrôle des chômeurs, car pour la droite, la responsabilité est individuelle et les problèmes se résolvent en « responsabilisant » (c’est-à-dire en sanctionnant et en excluant) toutes les personnes qui sont dans des situations sociales difficiles. Fidèle à cette ligne régressiste, en Wallonie, le ministre Jeholet veut supprimer les Cellules de reconversion pour l’emploi, qui ont pourtant démontré leur efficacité dans le retour à l’emploi de travailleurs ayant perdu le leur, comme le démontrait récemment, avec force chiffres, le Secrétaire général de la FGTB wallonne, Jean-François Tamellini.
À quoi sert-elle, alors, cette réforme ? À mon avis, elle poursuit trois objectifs.
1. Obliger des centaines de milliers de personnes à accepter des niveaux de rémunération plus bas et parfois beaucoup plus bas (notamment via les « flexi-jobs » et autres statuts précaires que le ministre Clarinval veut multiplier), pour faire pression sur les salaires et les conditions de travail de L’ENSEMBLE DES TRAVAILLEURS (dont un paquet ont voté pour ces mesures qui vont leur revenir en pleine poire). En toute cohérence, Clarinval, dont les inspirations libertariennes sont de plus en plus évidentes, annonce que son prochain chantier portera sur la « modernisation » du marché du travail, auquel il entend faire subir, je cite, une « révolution libérale ». Entendez : nous allons pleurer du sang. Au menu : facilitation des licenciements, horaires « accordéon », augmentation du temps de travail hebdomadaire, dérégulation généralisée.
2. Transférer la charge financière de la solidarité aux communes et aux régions les plus pauvres, dont on sait déjà qu’elles ne pourront pas suivre. Et donc mettre par terre de multiples actions sociales qui ont pu être menées jusqu’à présent au niveau local, notamment par les CPAS. La semaine dernière, le pourtant très modéré Bernard Clerfayt (Défi) parlait dans L’Echo de « la mort totale des CPAS des grandes villes » qu’annonce selon lui cette réforme.
3. Accélérer le mouvement vers le confédéralisme voire la partition du pays, en tapant sur la Wallonie et sur les quartiers populaires bruxellois. La carte que vient de diffuser le collectif ensemble.be et qui illustre ce billet est plus parlante à cet égard que de longs développements.
La conclusion, je la laisse à Arnaud Lismond Mertes et à votre sagacité : « Mais à part dire que ’c’est pas bien’, qu’est-ce qui est fait aujourd’hui pour rassembler et mobiliser les 180.000 personnes concernées ? Pour ne pas les laissez seules, renvoyées à la recherche de ’solutions’ individuelles ? Pour fédérer à l’échelle du pays tous celles et ceux qui s’opposent à cette mesure ? ».
PS : Ah oui, notez que la droite va toujours ajouter un volet compassionnel aux coups qu’elle vous porte : là où le gouvernement fédéral démolira vos droits sociaux avec détermination, il y aura des élus locaux (soutenant par ailleurs le gouvernement fédéral) pour regretter, déplorer, s’alarmer et être à vos côtés. Ça s’appelle de l’enfumage. Ne vous étonnez pas donc pas que le gouvernement wallon ait exprimé sa préoccupation quant à la réforme, la semaine dernière : l’objectif est juste de vous désorienter, en espérant que même parmi les personnes ayant pris de plein fouet les mesures anti-sociales, il s’en trouvera encore pour voter pour les auteurs desdites mesures.
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