Liège, le mardi 17 novembre 2015
Monsieur le bourgmestre,
Le Collège de la Ville de Liège a décidé, ce samedi, de mettre en œuvre plusieurs actions — rassemblement sur la place du marché, hommage musical, livre de condoléances — pour marquer la solidarité de la Ville et celle de ses habitants avec nos voisins français, durement éprouvés par les attentats terroristes du 13 novembre, dont la violence nous laisse toutes et tous abasourdis.
Je me réjouis de cette initiative. Je me réjouis que les Liégeois soient nombreux à marquer leur solidarité face à la barbarie qui nous menace. Je me réjouis que nous ne laissions pas la peur nous envahir, que nous ne permettions pas la banalisation de ces actes odieux.
Je prends cependant ici sur moi de vous écrire pour vous faire part d’une inquiétude qui m’étreint à la lecture de votre communication. Celle-ci n’évoque en effet que les morts parisiens. Bien sûr, Paris est très proche de nous. C’est la maison commune des francophones, la patrie de coeur ou d’origine de nombreux Liégeois. Cela justifie certainement une attention particulière, un soutien immédiat et sans faille.
Mais la violence déployée récemment par « Daech » est loin de se limiter à la série d’attentats commis vendredi soir dans la ville lumière. La veille, à Beyrouth, ville francophone avec laquelle Liège entretient des liens d’amitié de longue date, un autre attentat très meurtrier a eu lieu, sans susciter la même attention de la part de l’opinion publique mondiale et des médias internationaux. En Syrie, si l’on fait la macabre moyenne des morts enregistrés au cours des dernières années, on peut constater que c’est le 13 novembre tous les jours, et pire encore. Et les assassins sont, pour partie, les mêmes ici et là-bas.
Quelle que soit la nature exacte de l’organisation qui a revendiqué les attentats, et sans ouvrir ici un débat politique ou géopolitique qui peut attendre que passe le temps du deuil, sa stratégie est claire : dans la droite ligne de la théorie néo-conservatrice du « choc des civilisations », elle consiste à lever les peuples les uns contre les autres, à l’échelon international, à rendre conflictuelles des identités communautaires au sein des sociétés multiculturelles dans lesquelles nous avons la chance de vivre. L’objectif de Daech, c’est que les pays européens frappés par ses attentats renoncent aux idéaux libéraux et égalitaires qui les animent depuis plusieurs siècles pour pratiquer la discrimination, qu’ils bombardent aveuglement les contrées où « Daech » a établi sa domination, ce qui ne manquera pas de faire des victimes civiles — quand tel polémiste de droite extrême envisage, sur les ondes d’une grande radio française, que l’on bombarde Molenbeek au motif que certains des assassins y avaient établi leur domicile, nous devons comprendre qu’une telle violence, incroyablement absurde, ne serait guère différente de celle qui consiste à bombarder une ville d’Orient au motif qu’une organisation criminelle y a établi ses quartiers. L’objectif, Ô combien cynique, de « Daech », c’est que nos concitoyens de confession musulmane deviennent l’objet de la méfiance de la société dans laquelle ils vivent, que leur vie devienne impossible ; c’est de cette manière que l’organisation criminelle à laquelle nous faisons face espère poursuivre et intensifier le recrutement vers le djihadisme.
Sans polémiquer ici outre mesure, le risque est immense de voir les dirigeants européens tomber dans ce panneau, envisager une « guerre » dont on sait qu’elle est perdue d’avance (car on ne combat pas le terrorisme par des moyens militaires) au lieu de se donner les moyens de construire la paix, ici et là-bas.
La réaction la plus intelligente que nous puissions avoir passe dès lors certainement par la réaffirmation du tripode républicain : Liberté, Egalité, Fraternité. Ne laissons pas quiconque penser qu’à nos yeux, un mort blanc et parisien a plus ou moins de valeur qu’un mort levantin, turc, arabe, kurde, juif, persan,… Mesurons l’immense perte que représente chacun d’entre eux. Témoignons-leur notre solidarité et notre soutien.
C’est pourquoi j’ai l’honneur de m’adresser à vous pour vous demander de veiller à ce que les commémorations et manifestations de solidarité qui seront organisées par la Ville de Liège associent également les victimes tombées en Orient, et notamment celles de l’attentat de Beyrouth de la semaine dernière. Je ne doute pas que nous partageons à cet égard la même sensibilité, mais il me semble essentiel de veiller à ce que les apparences ne laissent penser à personne qu’il pourrait en être autrement. À l’heure où il nous revient le devoir et l’honneur de donner l’asile à des milliers de Syriens, il est essentiel que chacune et chacun comprenne que ces personnes fuient exactement la même violence que celle qui s’est abattue sur Paris la semaine dernière.
En vous remerciant pour l’attention que vous aurez portée à la présente, je vous prie de croire, Monsieur le bourgmestre, en l’assurance de ma considération très respectueuse.
François Schreuer
Conseiller communal de la Ville de Liège
Lire aussi : Résister au choc anaphylactique (20 novembre 2015).
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