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Lettre ouverte

Tram : lettre au Collège communal liégeois

Dans le cadre de l’étude d’incidences du tram de Liège, j’ai adressé aujourd’hui (à titre personnel) un courrier au Collège communal liégeois. En voici le texte.

Monsieur le bourgmestre,
Madame et Messieurs les échevins,

Profitant de l’étude d’incidences sur l’environnement du tram de Liège, j’ai l’honneur de vous adresser cette missive pour vous interpeller sur l’implication que va avoir — et que peut avoir — pour notre ville et pour ses habitants l’arrivée du tramway et sur la manière dont celui-ci est en train d’être réalisé.

Je ne m’appesantirai à faire un commentaire circonstancié du tracé proposé, m’estimant bien représenté par l’avis qui vous a été communiqué par le Gracq et par celui d’urbAgora.

Je souhaiterais par contre vous faire part de mon inquiétude sur les sept points suivants.

1. Le projet qui est aujourd’hui proposé présente à bien des égards les traits d’un projet trop technicien et pas assez urbain, d’un projet dans lequel les ingénieurs ont éprouvé des difficultés à laisser des espaces aux urbanistes. Il échoue en effet à intégrer bien des facettes parmi toutes celles qu’un tel projet comporte nécessairement. En particulier, il ne répond guère à une vision en termes d’aménagement du territoire (au contraire, par exemple, du scénario de la « Transurbaine »). Il échoue également, en bien des points, à servir de levier de transformation de l’espace public, même si son impact sur la circulation automobile sera considérable. Une fois de plus, le peu de considération dans laquelle est tenue, à Liège et en Wallonie, la discipline architecturale, me semble ici patent. Tout se passe comme si le maître d’ouvrage n’avait pas même pris conscience du rôle si important dont il est investi.

2. Mais le principal défaut, le défaut originel, du projet que vous défendez aujourd’hui, c’est qu’il ne s’inscrit pas dans une vision d’ensemble de la manière dont la mobilité doit se réorganiser sur l’ensemble de notre agglomération. Le Plan urbain de mobilité (PUM) qui a mobilisé les administrations communales et régionale pendant de longs mois, aurait pu constituer une base de travail et de discussion intéressante. Sa non-publication est plus que regrettable, elle nous prive de cette vue d’ensemble qui, même imparfaite, aurait au moins permis de questionner l’interaction des échelles et celle des réseaux.

3. À cet égard, le manque le plus criant dans le dispositif actuel est le véritable trou noir que constitue aujourd’hui l’enjeu du REL. Je suis à présent convaincu que, faute d’une mobilisation des élus liégeois dans le cadre de la négociation du plan d’investissement 2013-2025 du Groupe SNCB, la possibilité de le voir réalisé dans des délais raisonnables s’étiole doucement. Pour autant, chacun sait que ce réseau ferroviaire sera rapidement indispensable, pour des raisons sociales, écologiques, économiques et urbaines. Il est par conséquent nécessaire d’envisager dès à présent le tram dans les interactions qu’il aura dans le futur avec ce réseau ferré. Cela, la SRWT rechigne manifestement à le faire. Je pense qu’il fait partie de votre rôle d’élus de lui rappeler ses devoirs de service de l’intérêt général.

4. En se concentrant sur l’unique axe de fond de vallée, la SRWT en vient aussi à négliger la rive droite et le quartier de Ste Marguerite, où l’urgence est pourtant bien plus avérée qu’à Jemeppe ou Basse-Campagne. Je dénonce ici cette vision — trop souvent observée au cours de l’histoire urbaine de notre ville — qui consiste à faire de la rive droite de la Meuse un espace utilitaire, où l’on ne se préoccupe guère de développer les services publics. Le projet de tram est à cet égard caricatural : si les quartiers de la rive gauche vont connaître une sensible amélioration de leur qualité de vie, ce dont je me réjouis, ce sera très vraisemblablement au prix du report d’une série de nuisances vers la rive droite, et notamment d’une fonction routière encore plus prononcée pour les quais de la Dérivation. Je vous le demande donc avec insistance : faites de la rive droite une priorité de votre politique urbanistique, amenez-y au plus vite le tram. Exploitez le potentiel de la ligne 40 pour la desserte urbaine.

5. Bien sûr, si la rive droite est négligée, c’est au nom de la dimension intercommunale du projet. Il s’agit d’intégrer plusieurs communes sur le tracé, comme préalable à une très hypothétique communauté urbaine. S’il est bien évidemment compréhensible que les communes de la périphérie défendent bec et ongles le déploiement du tram sur leur territoire, on attend par contre de la Ville de Liège qu’elle défende avec la même énergie ses habitants, et notamment ceux qui vivent dans des quartiers fragilisés comme Sainte-Marguerite, Bressoux ou le Longdoz. Car il n’y a rien de « métropolitain » dans une vision qui consiste à sacrifier les besoins démontrés de certains habitants au profit d’un saupoudrage inefficient des moyens. À quoi bon, en effet, déployer du tram là où il n’y a que 5000 usagers par jour ? La vraie vision métropolitaine, c’est celle qui permet de mutualiser les moyens pour apporter une réponse adaptée aux besoins de tous les habitants de l’agglomération.

6. Mais voilà, le débat sur la mobilité a largement cédé le pas à un fétichisme du tram. Plutôt que de profiter de l’arrivée de celui-ci pour repenser le transport en commun dans son ensemble, et notamment pour redéployer le réseau de bus en valorisant les capacités dégagées par l’arrivée du tram, trop nombreux sont les responsables politiques à ne sembler préoccupés que par une seule chose : obtenir le tram, même s’il n’est pas le mode le plus adapté à telle situation. Conséquence : là où le tram est réellement nécessaire (c’est-à-dire là où le bus est saturé, c’est-à-dire dans les quartiers les plus denses de notre ville), faute de relais suffisants, les usagers devront continuer à se satisfaire d’un service insuffisant. Je ne me résous pas à cette mauvaise affectation des moyens publics.

7. Enfin et surtout, il est incompréhensible à mes yeux de voir le débat démocratique ignoré voire entravé sur ce sujet qui est pourtant tellement important pour l’avenir de la ville. Pourquoi les documents relatifs au tram sont-ils diffusés avec autant de parcimonie ? Pourquoi l’étude de la Transurbaine , financée par la Ville et par le GRE, n’a-t-elle été rendue — partiellement — publique que par une fuite dans la presse ? Pourquoi les outils minimums de concertation prévus dans la loi deviennent-ils, à vos yeux et à ceux de la SRWT, des plafonds à ne pas dépasser, ainsi que l’a exprimé M. Vandenbroucke lors de la réunion publique du 29 mai ? Où sont les réunions de quartier ? Où est l’indispensable organe permanent de concertation autour du projet ? Cette attitude, ce déni de l’aspiration citoyenne à participer au débat, est non seulement révoltante sur le principe. Elle fragilise aussi le projet lui-même qui, faute d’être largement compris par la plus grande partie de nos concitoyens et adapté à leurs besoins, se trouve de plus en plus critiqué et rejeté, alors que nous en avons le plus grand besoin.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le bourgmestre, Madame et Messieurs les échevins, l’expression de mes salutations distinguées.

François Schreuer

Illustration de cet article : image de synthèse proposée par le consortium « Tram Liège ».

Le lecteur intéressé trouvera les plans du projet sur le site tramliege.be.