Texte paru dans La libre Belgique.
La gestion publique des services d’intérêt collectif reste un outil créatif pour gérer le bien commun. Sa capacité à prendre en compte les interdépendances qui caractérisent les sociétés modernes peut lui permettre de relever les défis actuels qui se posent à la solidarité. Elle peut être efficace sans pour autant adopter une approche étroitement comptable conduisant à la dilution des responsabilités et à la restriction de son champ d’action. Dans cette perspective, nous proposons la mise en place de « maisons de services publics ».
Dans ces maisons, on trouvera tout ou partie des services suivants : les diverses fonctions remplies par un bureau de poste, une antenne de l’administration communale, un guichet du service public de l’eau, du gaz et de l’électricité à créer ou recréer ainsi que divers services relatifs aux transports en commun, un point d’information sur toutes les matières qui concernent le citoyen, depuis les modalités d’obtention des primes environnementales régionales jusqu’aux horaires des services de santé en passant par des informations sur les bourses d’études. Diverses facilités seront en outre fournies (photocopieuse, téléphone public, fax, connexion à l’Internet, photomaton...)
Pour régler tous ses problèmes administratifs, le citoyen n’aura à se rendre que dans un seul lieu et, idéalement, à faire la file une seule fois. Grâce à une informatique moderne et à une simplification notable des procédures administratives, les fonctionnaires seront à même de répondre à un large éventail de demandes. Autant que possible, ils rempliront aussi un rôle de conseil et d’information des citoyens. Bien sûr, la polyvalence et les compétences demandées au personnel seront plus élevées qu’aujourd’hui ; cela justifiera une politique ambitieuse de formation et une revalorisation conséquente de leur statut.
L’idée n’est naturellement pas de reproduire des mastodontes administratifs mais bien d’assurer un maillage fin du territoire et une polyvalence maximale des structures publiques en contact direct avec la population. De surcroît, ces maisons serviront de levier à une politique d’aménagement du territoire plus durable. Elles seront installées au coeur des quartiers et non dans des centres commerciaux situés en périphérie. Elles seront facilement accessibles en transport en commun, occuperont des lieux tels que les gares et les bureaux de poste qui pourront ainsi échapper à la désaffection à laquelle la politique actuelle les condamne.
Souvent, il sera aussi possible de localiser à proximité de ces maisons de services publics un lavoir public, une crèche, une épicerie de proximité, un atelier de réparation et un garage protégé pour les vélos, une station de taxis, un service de voitures partagées (car-sharing), toutes choses dont la localisation en un seul lieu simplifiera substantiellement la vie de leurs utilisateurs tout en favorisant les rencontres et la (re) création du lien social.
En regroupant de tels services, on ne facilite pas seulement la vie des citoyens, on améliore également l’utilisation des ressources publiques. En mutualisant bâtiments et, dans une certaine mesure, salaires des agents publics, il devient intéressant pour chaque entité publique de tirer profit de l’attraction générée par la présence d’autres services dans un même lieu tout en réduisant le coût que chacune d’entre elles supporte. Une telle opération permettra en outre des économies d’échelle. Par exemple, rendre les bâtiments publics accessibles aux personnes handicapées sera moins onéreux et pourra se faire de manière bien plus systématique qu’actuellement. L’efficacité de nombreuses politiques publiques s’en verra également renforcée.
Ainsi, les campagnes de prévention et de sensibilisation menées dans les secteurs de la santé ou de l’environnement trouveront un lieu idéal de diffusion auprès de la population, en ce compris ses franges les plus marginalisées. Tout dans cette proposition n’est pas neuf. Certaines initiatives locales vont peu ou prou dans cette direction, en Belgique ou à l’étranger. Et rien n’empêche aujourd’hui la réalisation de projets ponctuels qui impliquent la collaboration de différentes entités, publiques ou privées.
Néanmoins, pour lui donner un caractère cohérent et initier une dynamique d’ensemble, un mécanisme institutionnel doit garantir que les différents pouvoirs publics jouent le jeu de la coopération tout en veillant au caractère démocratique de la gestion des entités ainsi créées. Les communes disposeront pour cela d’un pouvoir d’initiative et de coordination. À cet effet, elles se verront attribuer par le pouvoir subsidiant des droits de tirage — une monnaie qui ne peut servir qu’à certains types de transactions spécifiées au préalable — sur les différentes entreprises publiques telles que la SNCB ou La Poste, voire vis-à-vis des différentes administrations fédérales et régionales susceptibles d’être en contact direct avec les citoyens. Aux communes de décider alors auprès de qui les exercer et pour quels services, et d’en négocier les modalités, de sorte qu’elles aient intérêt à les utiliser au mieux tout en adaptant leur usage aux circonstances et préférences locales. Cet espace d’autonomie sera encadré par le législateur afin de garantir un socle de base de ce qui doit en tout état de cause être accessible à la population.
Réciproquement, les entreprises publiques se verront dans l’obligation, à travers leur contrat de gestion, d’assurer une large couverture territoriale et verront leur dotation dépendre en partie des droits de tirage effectivement exercés, de sorte que la conclusion de conventions de coopération soit aussi dans leur intérêt. Enfin, différentes expériences sur le plan du contrôle démocratique devront être menées afin d’éviter la reproduction des pratiques opaques et peu soucieuses de l’intérêt général trop courantes dans le monde des intercommunales et des potentats locaux. Les maisons de services publics, à travers la place qui y sera faite à la gestion participative, pourront même devenir un instrument de contrôle indirect sur un certain nombre d’intercommunales en contact direct avec la population.
Renforcer ainsi l’accessibilité, la convivialité et la pertinence des services rendus aux citoyens devrait être relativement consensuel. Pourquoi cela ne se fait-il donc pas davantage ? Il y a à nos yeux deux sources majeures d’obstacles : d’abord la dispersion croissante des responsabilités induites par la privatisation effective ou programmée des opérateurs publics historiques mais aussi, à l’occasion, l’éparpillement des compétences entre trop de niveaux de pouvoirs ; ensuite la prévalence d’une approche comptable réductrice et d’une logique de rentabilité financière identifiant trop vite les services rendus à la population à des coûts inutiles.
La Poste n’est responsable que du volume de courrier traité et de son résultat financier ; la SNCB du nombre de personnes transportées et de son déficit d’exploitation, et ainsi de suite. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que la contraction des services non rentables à cette aune s’impose inexorablement. Notre proposition vise, à l’inverse, à créer des institutions qui prennent mieux en compte les interdépendances qui caractérisent les sociétés modernes. À cet égard, le secteur public a bien plus d’atouts à faire valoir que ce que de nombreux responsables d’entreprises (encore provisoirement) publiques ou de responsables politiques, même à gauche, ont progressivement été amenés à penser au gré des vagues successives de libéralisations et de privatisations. Ces avantages justifient que la société y investisse massivement mais à condition que le secteur public soit bien davantage au service du public, géré et contrôlé par lui. Les maisons de services publics vont dans ce sens.
Mathilde Collin
Tanguy Isaac
John Pitseys
François Schreuer
Bernard Swartenbroekx
Philippe Verdoot
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