Carte blanche parue dans « Le Matin ».
Depuis maintenant trois ans, le Numerus Clausus est une réalité en Communauté française. Et c’est cette rentrée académique 2000-2001 qui aura vu les premiers étudiants exclus de leurs études par ce système qui ne permet qu’à un nombre d’étudiants bien défini de poursuivre leurs études ; nombre qui correspond à celui des futurs médecins qui pourront recevoir le droit d’exercer. La raison essentielle de l’instauration du Numerus Clausus était la soi-disant pléthore de médecins à laquelle on devait s’attendre, et corollairement, l’augmentation des dépenses de soins de santé. A ce jour, le Numerus Clausus pose de plus en plus question.
Plus personne ne nie que la mesure est inique vis-à-vis des étudiants, qu’elle crée une discrimination sociale, qu’elle anéantit des vocations, qu’elle pourrir littéralement la vie des étudiants, qu’elle est tout simplement injuste. Mais l’attention compréhensive de certains manitous cache assez mal leur volonté d’éviter le débat de fond : Y a-t-il trop de médecins ou pas ? Aujourd’hui, à part l’Association Belge des Syndicats Médicaux (Absym), qui développe en la matière un sens de la nuance assez original, personne n’est à même d’avoir sur cette question un point de vue tranché.
Pour ce qui est de l’approche scientifique de la question, deux études au moins s’opposent. Celle qui a conduit à la mise en place du système actuel ; elle soutenait la thèse de la pléthore. Et celle |1|, plus récente — qui, contrairement à la précédente, n’a pas été commandée par des autorités politiques qui avaient déjà clairement pris position — qui annonce une pénurie de médecins à moyen terme. Admettons quand même que l’argument scientifique n’est pas déterminant.
Si la question de la pénurie reste en suspens, celle de l’évolution des besoins nous paraît relativement claire. La complexification des techniques médicales et l’hyper-spécialisation des praticiens, le vieillissement de la population et une évolution culturelle dans le rapport à la santé — des petits bobos pour lesquels on est vite inquiet, une recherche du bien-être de plus en plus présente —, le vieillissement du corps médical — qui implique la nécessité de faire face à l’arrivée du "papy boom" —, la demande, par un nombre croissants de médecins, d’une meilleure qualité de vie — essentiellement en termes d’horaires de travail —, la volonté de nombreux jeunes de s’impliquer dans la coopération au développement sont autant de raisons objectives qui témoignent clairement d’une augmentation des besoins, du moins si l’on accepte l’idée que notre société doit aller vers un plus grand bien-être de chacun.
Certains jeunes médecins voient trop peu de patients par jour, ce qui altère leur pratique. Par rapport à ce constat réaliste, il s’agit de prendre un peu de distance. C’est sans doute dans la question de la répartition du travail au sein du corps médical que se trouve lenœud du problème. D’une part, le passage du témoin entre générations se fait très difficilement — le médecin de famille installé n’a, contrairement à son jeune collègue frais émoulu de la Faculté, que quelques minutes à consacrer à chacun de ses patients. D’autre part, il existe une forte disparité dans la répartition géographique des praticiens. Il est peut-être exact qu’il y a trop de généralistes dans les quartiers aisés des grandes villes. Mais peut-on en dire autant des zones rurales, des quartiers défavorisés, de la médecine hospitalière ? C’est loin d’être sur. Et ce n’est pas le Numerus Clausus qui apportera une réponse à ces questions.
Le problème est donc complexe. Et l’enjeu majeur. Si l’on veut apporter une réponse valable à la question des besoins en médecins, il faut envisager cette question dans son contexte, en commençant par dire quelle médecine nous voulons. Il y a aux Pays-Bas nettement moins de médecins par habitant qu’en Belgique. Mais quel Belge se reconnaîtrait dans un système où — entre autres — jamais aucun soin n’est donné à domicile ? Les Etats-Unis consacrent chaque année à la santé un budget proportionnellement très inférieur à celui que nous lui consacrons. Mais combien de millions d’Américains n’ont même pas accès aux soins de santé les plus élémentaires ?
Quant à l’argument qui consiste à dire que les coûts de la santé diminueront avec la réduction du nombre de médecins, il n’est pas recevable. On constate en effet le nombre de prescriptions n’est pas proportionnel à celui des médecins. Qu’un médecin qui a plus de temps pour un patient a tendance à moins avoir recours aux médicaments et aux examens lourds : en termes d’emploi ou de qualité de vie, c’est tout bénéfice pour la collectivité.
Pour la Fédération des Étudiant(e)s Francophones, le Numerus Clausus est d’abord et avant tout un enjeu de société. Il nous pose la question de savoir quelle médecine et quelle société nous voulons. Cette question, il n’appartient pas aux seuls médecins d’y répondre. Elle concerne tout un chacun. Elle demande une prise de position claire de la part des hommes et des femmes politiques. La société que nous voulons assure-t-elle l’égalité des chances — auquel cas il faut supprimer le Numerus Clausus pour les étudiants ? Voulons-nous relever le défi de donner à chacun l’accès à des soins de santé de qualité ? Les masques vont devoir tomber...
|1| DELIEGE D., Ecole de Santé publique de l’UCL, 1999.
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