Dérivations. Circonvolutions autour de la question de la ville.
Ce petit tas de feuilles reliées pèse bien plus qu’il n’en a l’air.
C’est un instantané. Celui de l’état d’un questionnement riche et divers qui ne trouve que trop rarement un espace, décloisonné et contradictoire, où se déployer.
C’est une vision. La ville dans l’objectif du long terme. L’espace vital de demain, enraciné dans les potentialités d’aujourd’hui, dans nos friches urbaines et mentales, dans les projets à rêver, à amender, à concrétiser sur les bases solides de nos études et des observations de contributeurs acérés.
C’est un croisement de regards étayé par notre conviction de la nécessité d’un lieu d’expression voué à l’intelligence collective, au carrefour des réseaux de chercheurs, d’architectes, d’auteurs, d’artistes, d’observateurs, de promeneurs, bref de tous ceux qui donnent corps à l’âme de la cité.
Il y a une petite année, espoir et conviction peuplaient à des degrés divers nos songes d’équipe informelle. Nous parlions, tranquillement, de crowdfunding, de revues incroyables et qui comptent ou ont compté (Mouvement , Politique revue de débats , Espaces et Sociétés , Mandrill, Z , Le Tigre , L’Equerre, Soldes ...). Ça aurait pu durer longtemps.
C’est l’actualité qui a mis le feu aux poudres : la mobilisation autour de la Place Cockerill. C’est elle qui a créé l’appel d’air nécessaire à l’émergence d’une revue. Du concret, vite, pour documenter un combat, élargir son contexte, servir d’outil de médiation.
L’urgence a pris le dessus. Il a fallu lancer la fléchette sur l’agenda et se dire que l’accouchement, ce serait ce jour-là, enfin à peu près. Subitement, les chiffres ont remplacé les inconnues de cette équation utopique, les idées sont devenues matières à mettre en forme, les décisions éditoriales se sont succédé à un rythme soutenu. Les contorsions du chemin de fer, l’hyperinflation du contenu, l’envie de trop dire, et puis un titre : puisque le fleuve est déjà pris, la tangente fera l’affaire, et au pluriel, s’il vous plaît.
Il a fallu matérialiser l’objet. Un format petit, un peu joufflu, hyper-rationnel. Du papier écolo mais pas cher. Une rentabilité optimale du rapport texte/image/surface de la page. Une maquette accorte et robuste qui accepte presque tout. Un monochrome majoritaire — pas noir, d’un vert plutôt... fluvial —, illuminé par un « carnet couleur » de luxe. Une couverture qui installe le titre, et le logotype en prolongement de l’idée : les chemins de traverse, par leur tracé détourné, y forment un hémicycle. Et puis des rubriques ouvertes, invitantes, la liberté de dire et d’en choisir la manière et le ton.
Cette revue existe ! Et, bonne nouvelle, elle ne vous est pas encore tombée des mains. Elle existe parce que nous y avons cru, parce que vous y croirez, mais aussi et surtout parce que l’époque la réclame. Et que la ville où elle naît, avec ses atouts passionnants, est en transformation. Elle aussi regarde vers l’avenir dans le présent, celui des humains qui y résident, la traversent, l’aiment, l’imaginent, la détestent... ou tout cela à la fois.
Cette ville, Liège, notre point d’ancrage et de départ, ne sera pas notre seul horizon. Nos questions sont plus vastes et grande notre envie de porter le regard au-delà de nos collines. Nous élargirons donc nos vues, à l’avenir, avec le concours de quelques amis éloignés, habitants de villes qui peuvent nous inspirer. Nous poursuivrons notre quête d’une écriture qui ne soit ni pamphlétaire, ni universitaire, ni vraiment journalistique, contemplative ou prospective, mais un peu de tout cela. Une mixité dynamique pour rendre compte d’une critique urbaine nourrie par l’esprit de l’éducation permanente.
Tiens, cet éditorial a omis l’incontournable passage sur la crise de l’édition et le positionnement de Dérivations dans ce contexte à la fois héroïque et dépressif... Pour le dire un peu crûment, tout ceci ne fonctionne qu’avec l’engagement un brin romantique d’une poignée de convaincus, peu soucieux de leur avenir de capitaines de presse, et le soutien d’auteurs diserts et (provisoirement on l’espère) bénévoles. Cela n’a sans doute pas l’allure d’un manifeste ou l’odeur d’un bizness-plan, mais, selon les pages, le panache d’une charge de hussards ou le parfum discret d’une armée de l’ombre. Le tout fouetté par l’enthousiasme et la nécessité.
Pardonne donc, lecteur averti, les imperfections de jeunesse de ce premier numéro, et aime chacune de ses pages, car elles ont été créées pour toi.
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