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Avec le tram, une contraction de l’offre de bus

Le tram est parfois présenté comme l’alpha et l’omega de la mobilité urbaine. Son installation à Liège pourrait paradoxalement se traduire, pour les habitants des quartiers traversés, par une réduction du maillage qu’offre aujourd’hui le transport public.

La construction, d’ici 2022, d’une première ligne de tram à Liège semble désormais acquise. Empruntant l’axe du fond de vallée, entre Sclessin et Coronmeuse, elle desservira les deux principales polarités de la mobilité dans l’agglomération que sont la gare des Guillemins et la place Saint-Lambert.

Nous nous intéressons ici aux effets attendus de cet outil sur deux quartiers situés dans la partie la plus centrale du réseau, en grande partie entre ces deux polarités majeures : Avroy et Fragnée, soit la zone de la rive gauche compris entre l’hypercentre et le pont ferroviaire du Val Benoit.

La création de la ligne de tram va entrainer une reconfiguration profonde du réseau de bus, dont le détail n’est pas encore connu avec précision ni certitude mais dont les grands principes semblent acquis aux yeux du pouvoir politique et aux yeux de la SRWT |1| : hiérarchisation forte du réseau, rabattement d’un grand nombre de lignes de bus vers le tram… permettant d’espérer une stabilité du coût d’exploitation du réseau dans son ensemble. Il y a là un motif de préoccupation pour les usagers du bus dans ces quartiers.

Enjeux

Le pari que font les concepteurs de ce nouveau réseau est que l’amélioration du service permis par le tram (fréquence, vitesse, fiabilité, confort, lisibilité, image…) compensera certains inconvénients, notamment une diminution du maillage (un moins grand nombre d’arrêts), c’est-à-dire une augmentation de la longueur des déplacements nécessaire pour rejoindre un arrêt, et une augmentation du nombre de ruptures de charges (i.e. de correspondances). Nous souhaitons examiner ce qu’il en est concrètement à une échelle locale, et éventuellement suggérer des améliorations possibles au futur réseau.

Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont concernés. Les deux quartiers comptent, ensemble, un peu moins de 20 000 habitants domiciliés |2| . Il est cependant certain que le nombre réel d’habitants est beaucoup plus élevé, notamment en raison de la présence d’un nombre très important de logements étudiants. De surcroît, de très nombreux pôles d’activité (écoles, bureaux, services publics,…) sont situés dans ces quartiers. Et la contrainte sur les déplacements automobiles, déjà forte, va le devenir encore plus avec l’arrivée du tram (qui va notamment supprimer plusieurs liaisons interquartiers actuellement existante pour le trafic automobile), rendant une desserte en transport public de grande qualité d’autant plus nécessaire et cruciale.

Évolutions attendues

Actuellement, trois axes principaux traversent notre zone d’étude. Selon les documents que nous avons pu consulter, d’importantes évolutions peuvent y être anticipées.

L’axe formé par la rue des Guillemins et le site propre situés sur les boulevards d’Avroy et de la Sauvenière est de loin le plus important d’entre eux. Il accueille les lignes principales du réseau actuel (1, 4, 48) et de très nombreuses autres lignes (9, 25, 27, 30, 64, 65, 90, 94, 377). Cet axe sera, pour l’essentiel remplacé par le tram : la ligne 1 sera remplacée par le tram, tandis que la plupart des autres seront « rabattues » sur le tram, avec réduction de leur longueur à l’avenant. Cette évolution s’accompagnera d’une réduction du nombre d’arrêts puisque deux arrêts seront supprimés sur les boulevards (Darchis et Sainte-Marie) et que l’arrêt « Dartois » sera en quelque sorte déplacé vers le pied de la nouvelle passerelle (Blonden / Paradis). Cette réduction du nombre d’arrêts se justifie pour améliorer la qualité du service (en particulier pour améliorer la vitesse) offert aux très nombreux usagers de ce tronçon. Elle se traduira cependant par une indéniable dégradation de la desserte pour les usagers de ces arrêts.

Deux axes moins importants doivent aussi être mentionnés.

Les lignes 2 et 3 (desservant Seraing et Flémalle) rejoignent actuellement la place de la République française par un tracé assez proche du fleuve, desservant la rue de Fragnée (dans le sens entrant) ou les boulevards Rogier et Frère-Orban (selon le sens) ainsi que Piercot. Ces deux lignes ne devraient plus pénétrer à l’avenir dans le cœur urbain, puisqu’elle s’arrêteront, dès la mise en service du tram, à la nouvelle gare intermodale de Sclessin, à côté du stade du Standard. Plusieurs arrêts ne seront, en conséquence, plus desservis : « Rivageois », dans le quartier de Fragnée (« Paradis » sera également supprimé, mais n’est guère éloigné d’un nouvel arrêt de tram) ainsi que « Terrasses » et « Piercot ». Certes, la place des Franchises (qui restera desservie) n’est guère éloignée de l’arrêt « Rivageois » et le centre-ville ou le tram ne sont pas bien loin des arrêts « Piercot » ou « Terrasses ». Mais là encore, les personnes pour qui la marche à pied n’est pas aisée risquent de perdre un outil de mobilité qui leur est précieux (dans un contexte, rappelons-le, où la mobilité automobile sera fortement découragée). Notons encore que la fermeture de cet axe ferait disparaître la seule liaison directe existant entre le site universitaire du XX Août et la gare des Guillemins.

Enfin, la plus modeste ligne 20 assure aujourd’hui la desserte de l’axe Dartois-Fabry-Louvrex. Elle devrait, dans le cadre de la réorganisation du réseau, ne plus relier Cointe qu’aux Guillemins (où les usagers seront invités à monter dans le tram). Il en résulte que les arrêts « Dartois », « Bronckart » et « Sainte-Véronique » ne seront plus desservis tandis que « Fusch » ne le sera plus que par la ligne 21. Là encore, un site universitaire (HEC) perd sa seule liaison directe avec la gare des Guillemins.

Pour être complet, signalons encore les lignes 17 et 138, qui remplissent une fonction un peu particulière de lien avec la rive droite, et dont nous ignorons à ce stade ce qu’elles deviendront.

Une desserte en nette régression

Une réduction de la desserte se dessine donc assez nettement. Une fois encore, si la logique de création d’un axe structurant (donc plus rapide et plus performant) n’est pas remise en cause ici, la réduction de la desserte plus fine nous pose doublement question.

D’une part, l’impression est forte que le nouvel schéma amène une dégradation du service offert à plusieurs milliers d’habitants et d’usagers de la ville. L’allongement des distances à parcourir à pied pour rejoindre un arrêt de transport public est significatif dans plusieurs parties de notre zone d’étude et posera problème à différentes catégories d’usagers, dans une moindre mesure cependant que ce qu’on constate dans le quartier Saint-Léonard |3|. C’est notamment le cas des personnes âgées, mais pas uniquement. Nous pensons notamment ici aux nombreux étudiants et élèves qui fréquentent ces quartiers, ceux d’HEC et de Jonfosse, mais aussi les écoles secondaires Saint-Luc, Saint-Servais, Saint-Jacques, Sainte-Véronique ou même Don Bosco, dans le quartier du Laveu, de l’autre côté de l’autoroute, dont de nombreux élèves rejoignent actuellement à pied l’arrêt « Sainte-Marie ».

D’autre part, on peine à concevoir que le tram puisse absorber l’ensemble des flux qu’on prévoit manifestement de rabattre sur lui, en sorte que le gain d’efficacité et de confort attendu de ce nouveau mode pourrait bien ne pas être au rendez-vous. Ajoutons encore que si la logique de rabattement est pertinente et défendable pour des trajets moyens ou longs (où le gain de vitesse permettant de rattraper le temps et de compenser le confort perdus dans la rupture de charge), c’est nettement moins vrai sur des déplacements courts et cela pourrait être regrettablement dissuasif pour certains publics.

Des propositions à construire

En conséquence, il nous semble nécessaire d’ouvrir sans plus tarder une réflexion associant techniciens, usagers et autorités publiques sur le maintien d’un maillage de bus plus dense dans les quartiers concernés par cette réorganisation de l’offre, complémentaire à l’axe structurant du tram – sans cependant s’interdire de profiter de la refonte à venir du réseau pour améliorer le schéma actuel.

Ainsi, le maintien de la ligne 20 jusqu’au centre-ville – et éventuellement son intégration dans une ligne traversante |4| – mérite certainement d’être considérée, d’autant plus qu’elle permettrait de conserver un lien direct entre Cointe et le centre, là où la logique de rabattement prévoit actuellement que cette ligne s’arrêtera aux Guillemins.

D’autres options pourraient cependant être imaginées, par exemple en prolongeant, sur le tracé du bus 20 ou sur une partie de celui-ci, l’une des lignes dont on annonce qu’elles trouveront un terminus aux Guillemins, la ligne 30 par exemple.

Un raisonnement similaire peut être tenu pour l’axe tangentiel au fleuve (l’actuel bout de ligne des bus 2 et 3) : là aussi, la prolongation d’une ligne devant s’arrêter aux Guillemins semble pertinente. Et pourquoi pas la ligne 48, qui rejoindrait de cette façon le site universitaire du XX Août, offrant une connexion directe entre celui-ci et le campus, aujourd’hui inexistante ? Cette option devra cependant être validée sur le plan technique, notamment en examinant l’impact de ce nouvel itinéraire sur la fiabilité des horaires de la ligne et en adoptant des mesures de priorisation à la hauteur des besoins (par exemple un site propre sur le Boulevard Piercot).

|1| Nous nous basons notamment ici sur l’étude dite « des 14 axes » visant à la réorganisation du réseau de bus de l’agglomération et dont les deux premières phases ont été réalisées en 2016.

|2| Selon le Tableau de bord de la population 2015 (Ville de Liège).

|3| Cf. Les deux conférences de presse d’urbAgora « Un tram contre la ville ? » (19 octobre 2011) ou « Et si le tram passait par le quartier Saint-Léonard… » (23 mai 2012), toutes deux disponibles sur la page http://urbagora.be/interventions/conferences-de-presse/

|4| Cf. « Réorganiser le réseau de bus ? Oui, mais comments », pp. 110-118.