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Financer le logement social par les charges d’urbanisme ?

Et si on parlait plutôt de la captation des plus-values foncières ?

Le groupe Vert Ardent est revenu, au Conseil communal du 30 juin, avec la proposition — défendue dans pas mal d’endroits, il est vrai — de prélever 15% des logements produits par le secteur privé afin de créer des logements sociaux.

Je reste pour ma part cependant circonspect voire franchement réservé sur cette idées, pour les raisons suivantes.

1. Le montant des charges d’urbanisme est limité par la jurisprudence. On n’est pas du tout dans l’ordre de grandeur d’un prélèvement de 15% tel que proposé, ou même de 10% ou 5%.

2. Le concept de charges d’urbanisme vise à compenser les externalités négatives d’un projet immobilier. Elles doivent donc être modulées en fonction de cela. On applique des charges d’urbanisme sur les gros projets induisant des problèmes de saturation des infrastructures publiques d’un quartier, mais beaucoup moins facilement sur les opérations de rénovation urbaine délicates dont on sait que l’équation économique est déjà fragile. On ne peut pas appliquer des charges d’urbanisme de façon linéaire. Et il me semble essentiel, si l’on veut favoriser une transformation qualitative de la ville (notamment si l’on veut encore voir de la rénovation des immeubles très dégradés ou difficiles d’accès, qui coûtent beaucoup plus cher au m2 que l’urbanisation sur terrain vierge), de laisser à l’administration une marge d’appréciation substantielle quant à l’application ou non des charges d’urbanisme en fonction des projets.

3. On a besoin des charges d’urbanisme pour financer des projets d’espace public (des espaces verts, des plaines de jeu, etc). La proposition qui est sur la table mène de fait à perdre cette ressource.

4. Le logement est une compétence régionale. C’est d’abord à la Région qu’il revient de mobiliser les moyens nécessaires à une politique de logement social.

5. Mais surtout, sur un plan plus fondamental, la proposition consiste à dire que la politique du logement doit être (en grande partie) financée par les personnes qui achètent un logement, car ce prélèvement se répercutera inévitablement sur le prix du reste des logements. Arithmétiquement, prélever 15% de logements dans un grand projet implique une augmentation du prix de 17,6% pour les acheteurs des 85% restants. Ça peut se défendre pour les personnes qui achètent pour mettre en location (quoique ça risque là aussi de se répercuter sur les loyers). Beaucoup moins, il me semble pour les primo-accédants, pour lesquels la marche est déjà hyper haute actuellement. Concrètement, cette mesure reviendrait donc à priver d’accès à l’achat d’un logement toute une frange de ménages pour lesquels c’est déjà extrêmement difficile actuellement. Et donc à dualiser encore plus le marché.

Les charges d’urbanisme ne sont donc pas le bon outil pour financer la politique du logement. Faut-il pour autant conclure qu’il n’est pas possible d’agir pour le logement social au niveau local ? Certainement pas. La clé se trouve à mon sens du côté de la captation de la plus-value foncière. On observe en effet une croissance régulière de la rente foncière et celle-ci est la conséquence des progrès économiques dans leur ensemble (quand les gens ont en moyenne plus de revenus, ils ont plus d’argent à mettre dans leur logement et ça fait monter les prix) et des investissements réalisés par la collectivité (un parc public, une crèche, une ligne de tramway ne sont pas sans impact sur les prix de l’immobilier). Pour le moment, cette rente est — injustement, donc — essentiellement captée par le secteur privé. Mais il existe des outils — et le sujet est en train de prendre de l’importance dans de nombreux pays du monde — pour « capter » une partie de cette rente au bénéfice de projets publics. Là se trouve, je pense, le principal levier de financement des investissements publics à venir.

Et ce sera beaucoup plus juste, fiscalement.

C’est pour cela, notamment, que nous avons besoin de mettre en place un grand outil foncier communal ou, mieux, métropolitain.

PS : Par ailleurs, on pourrait aussi mettre à l’agenda l’idée d’un grand plan européen pour le logement social : si Ursula Von Der Leyen annonçait « 800 milliards pour le logement », ça aurait quand même une autre gueule que « 800 milliards pour acheter des armes à Trump ». Mais je reconnais que la pente est raide avant d’arriver jusque là.