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Compte-rendu

Aux Guillemins, les nouveaux logements seront pour les riches

Ce mardi soir avait lieu une séance de la « Commission de rénovation urbaine » du quartier des Guillemins, à laquelle j’ai la possibilité d’assister en tant que conseiller communal. Je retranscris rapidement ici, de mémoire et pour mémoire, quelques informations glanées à cette occasion et quelques réflexions que m’inspire l’achèvement en cours du quartier des Guillemins.

Les trois dossiers qui étaient à l’ordre du jour vont en effet quasiment mettre un terme aux grandes manœuvres qui sont en cours dans le quartier depuis vingt ans.

« Paradis express ». Le promoteur Fedimmo vient de déposer sa demande de permis pour ce projet de grande envergure situé entre la Tour des finances et la rue de Sclessin : 22.000 m2 de bureau côté Meuse, 17.000 m2 de logement côté gare, du commerce et des espaces HoReCa au rez). L’enquête publique est déjà annoncée pour le mois de juin.

L’exposé de ce soir était un exemple particulièrement pur de la novlangue managériale dans laquelle tout est lisse, propre et absolument pas du tout sujet à débat, à l’image du projet lui-même, consensuel et dans l’air du temps. Certes, quelques améliorations ont été apportées à la suite des recommandations de l’étude d’incidence sur l’environnement (des emplacements de stationnement vélo, un passage piéton plus généreux entre les deux parties du projet). Il n’empêche que l’on reste face à un objet remarquablement creux et insipide, tant au niveau de la forme (une sorte d’incarnation de la « pensée de la moyenne ») que des fonctions ou des usages induits.

Je ne prends qu’un exemple : la modélisation de l’ombrage qui a été réalisée montre par exemple que l’esplanade des Guillemins sera privée d’ensoleillement quasiment toute l’année (sauf en fin d’après-midi à la belle saison). Cela n’empêche pas la représentante de Fedimmo, passant rapidement sur le sujet, d’asséner que l’impact de son projet sur l’ensoleillement sera absolument minime.

Notons qu’une fois de plus (ça devient une habitude pour Fedimmo), le Master plan dessiné par Daniel Dethier et consorts est ici foulé aux pieds. Dethier avait défendu la notion d’émergences (avant que celles-ci ne soient gommées par un Collège en campagne électorale, peu de temps avant les élections communales de 2006) et le maintien de l’ancien bâtiment des finances (feu la tour Dedoyard) aurait pu constituer l’une d’entre elles. Cette proposition était d’une grande pertinence en permettant d’atteindre la densité qui s’impose sur un tel site (et sans laquelle le financement du projet aurait été impossible) tout en maintenant de grandes ouvertures de soleil pour l’esplanade. En lieu et place, on aura un ensemble d’immeubles (primés au MIPIM et éco-durable, sans doute) formant quasiment un mur le long de l’esplanade, ce qui n’empêche pas Fedimmo de se réclamer — de façon infondée, selon moi — du travail de Dethier.

« L’îlot F ». Le long de la rue Paradis (entre l’immeuble des pensions et l’immeuble « France », à l’emplacement des petites maisons ouvrières qui se trouvent pour le moment à cet endroit) mais aussi au cœur du vaste îlot formé par cette rue, l’avenue Blonden et les rue de Serbie et des Vingt-deux, le Groupe Horizon a entrepris d’insérer, au chausse-pied, une centaine de logements, entre les espaces de parking et autres salles de sport (bowling et squash) qui ont largement colonisé cet intérieur d’îlot. Le projet prévoit un niveau de parking en sous-sol (109 places), dont l’accès se fera par l’Avenue Blonden.

L’exposé du promoteur, ce soir, a très longuement évoqué les versions antérieures du projet (dont certaines étaient meilleures, à mon sens, que celle qui a été retenue) et les négociations avec les nombreux riverains.

Le projet retenu n’est pas inintéressant ; il a le mérite de contribuer à densifier et aérer tout à la fois un îlot qui est aujourd’hui, comme beaucoup trop des espaces situés à l’arrière des grands immeubles, une mer de roofing ; il s’inscrit aussi dans le fameux « PRU » (plan de remembrement urbain) des Guillemins. Il démontre cependant qu’en l’absence d’une action d’ensemble sur le foncier (qui ne peut venir que des pouvoirs publics), il est extrêmement difficile de faire évoluer des situations complexes comme celle-ci.

Le terrain « Bateau ». La Ville, propriétaire, espère lancer d’ici l’automne un « appel à intérêt » pour la construction, sur cet ancien site industriel, d’un ensemble principalement orienté vers le logement (commerce et HoReCa n’y sont pas bienvenus). La forme de l’appel à intérêt, qui se généralise après les projets « Léopold » (sur le site de l’explosion du 27 janvier 2010), « Nagelmackers » (au coin de la rue du même nom et des quais), n’est pas sans poser certaines questions, puisqu’elle implique notamment la privatisation de ressources foncières communales. Je suis donc intervenu, une nouvelle fois, pour regretter le choix de ne pas maintenir dans le giron public ce site emblématique, remarquablement bien situé, fût-ce par le biais d’une emphytéose (qui prévoit le retour du bien dans l’escarcelle communale après quelques décennies). J’aurais préféré, je préférerais que la Ville développe ce site elle-même, ou par l’intermédiaire d’un outil public, en proposant un concours d’architecture et en profitant de l’occasion pour réaliser au moins quelques logements sociaux. Il n’en sera rien, semble-t-il. Un point positif quand même : à la demande de Gérard Debraz, ancien président du comité de quartier, l’échevine Maggy Yerna s’est engagée à demander, dans l’appel à intérêts, la présence de plusieurs logements destinés aux personnes à mobilité réduite (PMR).

Au-delà de ces trois opérations, qui devraient se réaliser dans les trois ou quatre ans à venir, il reste donc encore, dans le quartier, un grand point d’interrogation qui concerne les terrains assez importants que possède la SNCB entre la rue de Sclessin et la gare. Le moins que l’on puisse dire est que l’attitude de la SNCB est assez scandaleuse : expropriés, comme on l’a souvent souligné, « pour les nécessités du chantier », les nombreux immeubles qui se situaient à cet endroit ont été démolis après l’achèvement de la gare. Le terrain sert aujourd’hui de parking, alors même que la SNCB ne se prive pas de donner des leçons sur la nécessité d’aménager la ville autour de « sa » gare. L’impression que donne cette opération est que la SNCB attend de voir le prix du terrain monter avant d’agir.

Notons encore la présence de terrains situés le long de la nouvelle rue Jean Gol (derrière « Paradis express », donc) ainsi que les bâtiments de l’ICADI (propriété de la Ville, là encore) qui sont, paraît-il voué à la démolition au bénéfice d’un nouveau projet immobilier.

Pour ma part, le principal constat que je fais, au terme de ce processus, c’est que — il n’y a désormais plus guère de doute à ce sujet — l’ensemble des opérations de logement programmées dans le quartier viseront un public plutôt aisé voire très aisé. Plus de 300 logements neufs auront en effet été réalisés le long de la future esplanade. Aucun d’entre eux ne sera un logement social. Aucun d’entre eux ne sera un logement public. Il n’aura, semble-t-il, pas été question de charges d’urbanisme |1| dans les dossiers menés aux Guillemins : la rentabilité des opérations de promotion aura été laissée intacte.

Lorsqu’on voit le prix auquel sont commercialisées aujourd’hui les promotions du type de celles dont il est question ici (on atteint et on dépasse désormais allègrement les 3000 EUR/m2, ce qui est nouveau à Liège), il ne faut donc pas beaucoup d’avancer pour constater que la plupart des habitants qui ont été expropriés pour permettre la réalisation de l’esplanade n’auront quasiment aucune chance de revenir habiter dans leur quartier.

|1| Ce mécanisme qui permet aux pouvoirs publics de demander aux promoteurs de réaliser des travaux d’intérêts publics, en aménagement un espace public ou en transférant quelques logements à une société de logement social.