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Entretien au journal « La Meuse »

Le journal La Meuse publie dans son édition de ce lundi, sous la plume de Gaspard Grosjean, une interview de votre serviteur (dans la rubrique « Parlons politique »). Je publie ici les notes que j’avais rédigée pour préparer cette interview, comme je le fais parfois quand il m’importe de structurer un propos (mais ces quelques paragraphes n’ont évidemment pas d’autre prétention). Ces notes complèteront sans doute utilement ce que vous lirez dans le journal (que je vous invite, du coup, à acheter).

1. Le rôle central des grandes villes et l’importance du scrutin communal

On observe une concentration, au niveau mondial, de la puissance économique dans quelques centaines de métropoles mondiales. Dans le même mouvement, on assiste à la relégation des villes petites et moyennes, qui s’appauvrissent. Liège est dans une situation d’entre-deux. Même s’il faut évidemment, globalement, travailler à une répartition plus homogène de la richesse, on ne peut ignorer ce contexte : les choix qui seront faits (ou pas) dans les années à venir auront une grande importance pour déterminer le destin de l’agglomération. Mon impression est que la façon dont sont gérés les grands projets, aujourd’hui à Liège, n’est pas rassurante à cet égard.

Dans un contexte où, à Liège, l’exode urbain continue, il y a une forte nécessité de défendre la ville et les urbains face aux attaques qu’ils subissent. Ça passe passe par la reconquête de l’espace public, par la protection des quartiers face à l’envahissement automobile, etc. Le moment 2018 doit être l’affirmation — nette — de cette priorité. VEGA incarne cette préoccupation plus que tout autre parti.

J’observe la possibilité d’une renaissance démocratique « municipaliste » dans des expériences comme celles qui sont en cours à Grenoble ou à Barcelone. Il est possible de penser la ville comme l’espace d’une reprise en main collective de notre destin politique, là où la politique apparaît souvent beaucoup trop distante. Ces expériences doivent nous inspirer.

Enfin, la séquence électorale 2018-2019 sera particulière : l’élection communale prendra une importance déterminante, car elle donnera le ton des élections générales de 2019 (régionales, législatives et européennes) qui auront lieu six mois plus tard. Ce qui se passera à Liège pourrait avoir des répercutions plus larges.

2. Un scénario très peu enthousiasmant se dessine pour 2018

Les tendances à l’œuvre sont visibles : éparpillement des voix (conséquence notamment de l’épuisement de la forme traditionnelle du parti, qui ne fait plus recette), et mise en place de plus en plus probable d’une majorité réunissant les deux principaux partis, par défaut, au nom de la stabilité, car l’alliance PS-MR pourrait être la seule bipartite possible. Il faut éviter ce scénario.

Il neutraliserait en effet — s’il se répétait dans d’autres grandes villes — l’indispensable débat sur le bilan du gouvernement Michel, qui peut à mes yeux se résumer par l’absence de mesures pour préparer les défis à venir (désinvestissement dans le rail, poursuite d’une politique antédiluvienne de l’énergie, etc), par une attaque généralisée contre le monde du travail (dont le saut d’index est le cœur) et contre toutes les personnes fragiles dans la société et notamment les malades (augmentation du prix des médicaments, remise au travail de personnes malades) et les retraités (mise en cause de la GRAPA, etc),….

Cette logique de la « Große Koalition » ne passe plus pour la majorité des citoyens (dont les votes de rejet successifs, dans beaucoup de pays du monde, témoignent d’abord du refus de cette alliance « sociale-libérale » et de l’hégémonie à laquelle elle prétend). Même si la tradition sociale-démocrate propre au Nord de l’Europe (et notamment à la Belgique) est sans doute plus résistante que celle des partis socialistes du Sud, je mets en garde mes amis socialistes : le choix d’une alliance avec la droite, dans les circonstances actuelles, pourrait préparer la « pasokisation » du PS — après l’Italie, la Grèce, l’Espagne et la France, la Belgique pourrait suivre le mouvement. Je pense que les militants socialistes sont largement conscients de ce danger et souhaitent l’éviter. Ça passe, dans leur chef, par le choix clair et net du camp de la gauche, et par une pratique du pouvoir plus ouverte qu’actuellement.

Au niveau local : j’invite tous les militants et électeurs de gauche à se demander ce que serait l’impact sur leur quotidien d’une politique communale avec le MR au CPAS, au logement, aux finances, à l’instruction publique,…

Double discours local-global du MR très fréquent. Exemple des centres commerciaux. Le groupe MR au Conseil s’y oppose, au nom de la défense du petit commerce. Mais le MR a poussé les textes internationaux (notamment la Directive Services, alias « Directive Bolkestein ») qui a « libéré » la concurrence commerciale et rendu très compliqué le contrôle public de l’offre commerciale (avec des conséquences lourdes sur les noyaux commerçants historiques).

Dans ce contexte, le risque est réel de voir la sensibilité — et l’influence — écologiste se réduire à peau de chagrin au sein du Conseil communal liégeois.

3. Les enjeux écologiques sont devenus des enjeux sociaux de premier plan…

… et ils sont largement délaissés, faut d’un intérêt réel de la part des partis au pouvoir. Trois exemples.

Mobilité. Si on n’accélère pas très fortement le développement du transport public — à un prix plus démocratique qu’aujourd’hui — et des infrastructures pour le vélo (pistes cyclables, mais aussi stationnement), la mobilité deviendra (et commence d’ailleurs déjà à devenir) un privilège. Or le droit à la mobilité conditionne l’accès à beaucoup d’autres droits : à l’emploi, à la culture, etc.

Précarité énergétique. Le coût de l’énergie est devenu et va devenir de plus en plus important dans le budget des ménages. Il est indispensable de permettre l’accès de tous aux énergies renouvelables (par exemple à travers des régies communales des énergies vertes) là où la politique régionale des 15 dernières années a subventionné la classe moyenne supérieure au détriment des catégories populaires. Isoler massivement le parc immobilier (au rythme actuel, ça prendra encore un siècle).

Santé environnementale. Multiplication des signaux inquiétants. Explosion des maladies graves chez l’enfant. Malgré les progrès énormes de la médecine, l’espérance de vie en bonne santé a commencé à baisser. Les facteurs environnementaux sont largement responsables. Nécessité d’une action décidée contre la pollution de l’air ou contre les pesticides,… qui ne vient pas (en passant : signalons l’attaque en cours du gouvernement Michel contre les maisons médicales, qui jouent pourtant un rôle essentiel dans les quartiers).

Bref : il n’y aura pas d’écologie populaire sans concevoir, d’abord, l’écologie pour les catégories populaires.

4. Construire une majorité de gauche

Il existe d’importantes convergences les différents courants de la gauche liégeoise (je pense par exemple à la manière dont la revendication d’un réduction collective du temps de travail s’est imposée ces dernières années). Il importe de les faire fructifier. Il faut créer des espaces d’échange, ouverts, inventer une culture du débat contradictoire qui nous fait souvent défaut.

Même si les relations ne sont pas toujours faciles (ne nous en cachons pas), il y a une convergence possible entre Ecolo et Vega, qui pourrait en plus fédérer de nombreux militants indépendants, qui se reconnaissent dans les combats écologistes mais pas vraiment dans les formations actuelles : il s’agit donc de donner une place importante aux personnes engagées dans des combats sociaux (dans le monde associatif, dans les comités de quartier, dans les syndicats et les mutuelles,…). C’est la meilleure formule dans le contexte actuel. La seule, selon moi, qui peut amorcer une dynamique de victoire.

En reconduisant leurs scores de 2012, Ecolo + Vega ensemble mécaniquement 8 sièges, au lieu de 7 (la règle « Imperiali » faisant, qui favorise les grosses listes). Si cette alliance crée une dynamique, il est possible de viser 9 voire 10 sièges et peut-être même de devenir la 2e formation du Conseil communal, ce qui compliquerait fortement la tâche de ceux, au PS, qui ne veulent parler qu’avec le MR.

Enjeu de la tête de liste (délicat, inévitablement). Dans l’idéal : une « grande figure », pouvant faire état d’engagements sociaux conséquents. Mais sans naïveté : pour un tel rôle, il faut une expérience politique, un grand sens de la diplomatie, de vraies qualités oratoires, une capacité de synthèse affirmée,…

5. Un enjeu de méthode : redéfinir un cadre de travail

Il y a une articulation à redéfinir entre partis et listes d’ouverture. Les partis sont globalement essoufflés — partout —, mais l’absence de structure des attelages composites rend très complexe leur participation au pouvoir. Il faut tirer le meilleur des deux formes. Rompre avec la logique traditionnelle de l’assembléisme qui épuise tout le monde, aller vers une forme plus réticulaire d’organisation, plus axée sur le contenu, tout en disposant de structures de décision rapides et efficaces, sans lesquelles la participation à une majorité n’est pas possible. Deux impératifs, donc : ouverture et structure.

Ouvrir largement la délibération démocratique, créer des comités d’usagers dans tous les services publics, instituer des conseils de quartier, mettre des outils de travail à disposition du monde associatif dans toute sa diversité, reconnaître l’utilité des contre-pouvoirs dans la société, refaire de l’éducation populaire/permanente le cœur de la politique de gauche, organiser régulièrement des consultations populaires, créer des espaces de débat (notamment sur RTC qui devrait organiser un débat hebdomadaire),… et surtout : rendre, toujours et partout, l’information accessible à toutes et tous.

NB : C’est là — bien plus que sur le fond des dossiers — qu’il y une divergence importance avec le PS, dont la gestion du pouvoir reste antédiluvienne à bien des égards : très faible renouvellement des élus (on annonce la reconduction du Collège actuel sans modification, ce qui ressemble à un pur suicide de la part de ce parti qui semble avoir décidé de ne pas donner sa chance à la nouvelle génération), concentration du pouvoir dans quelques mains (qui cumulent souvent des fonctions beaucoup trop nombreuses pour les assumer sérieusement), véritable omerta sur l’information de la part des échevins, y compris entre eux, ce qui a des conséquences graves sur la bonne gestion des affaires publiques, etc.

 

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