Je n’interviendrai pas ici sur les synergies avec la Ville ni sur la mise à disposition de matériel informatique pour les travailleurs du CPAS – dont je me félicite et dont les autres orateurs ont largement parlé.
Mon intervention, Monsieur le bourgmestre, Monsieur le président, Monsieur le secrétaire général, aura un tour plus théorique.
Le plan stratégique du CPAS et la note de politique générale qui nous sont présentés aujourd’hui – vous ne l’ignorez certainement pas – sont directement inspirés par ce qu’on appelle la Nouvelle gestion publique – en anglais New public management.
Cette doctrine a été conceptualisée dans les années ’70 et ’80 en Grande-Bretagne. Mme Thatcher en a été l’une des grandes promotrices. Le New public management repose sur le postulat d’une nature commune entre gestion publique et gestion privée. Il vise à la suppression du droit spécifique de la fonction publique et au rapprochement graduel vers un droit commun du travail.
Le New public management vise à ravaler les services publics au rang d’acteurs économiques parmi d’autres, en niant en particulier leur fonction collective au service du bien commun – ce qui vous faites en présentant le CPAS comme un service à des individus et non comme le récipiendaire d’une mission d’ordre collectif – mission sur laquelle il y aurait par ailleurs beaucoup à dire.
Le New public management s’articule concrètement autour de la notion de « résultat » et de son évaluation permanente.
Les moyens mis en oeuvre pour arriver à de tels objectifs sont notamment les suivants.
Fixer des objectifs dits « opérationnels », réaliser des comptages, tout évaluer, réaliser des tableaux de bord.
Discréditer la fonction publique : répéter à l’envi qu’elle est inefficace et lente, que la dette vient nécessairement de la mauvaise gestion. À cet égard, la liste des objectifs que vous nous présentez aujourd’hui laisse curieusement penser que rien ou presque n’était fait auparavant, voire que les agents publics étaient incompétents et fainéants !
Naturaliser les changements prescrits, les présenter comme inéluctables ; les évolutions politiques sont inscrites comme des données, sous couvert d’une approche pragmatique. Par exemple, le nouveau plan gouvernemental de lutte contre la fraude est présenté comme un nouveau défi à relever, et non comme un positionnement politique à soumettre au débat. J’y reviendrai.
Minimiser les problèmes liés au financement insuffisant, en en attribuant la responsabilité à la mauvaise gestion et à la mauvaise organisation du personnel. Il est à cet égard étonnant, Monsieur le président, que vous acceptiez ce diagnostic qui discrédite largement tout ce que la majorité a fait depuis des années.
Introduire des structures organisationnelles issues du secteur privé, en lien avec le décret d’organisation de la fonction publique. Les changements de nomenclature, l’augmentation barémique du personnel de direction, l’introduction de personnel intermédiaire de management, dès lors qu’il n’y aura pas de budget supplémentaire, impliqueront la diminution des effectifs sur le terrain.
Plus largement, le New Public management vise à créer une nouvelle culture, détruire le statut et la culture du fonctionnaire et les remplacer par la culture d’entreprise, par l’utilisation d’un certain lexique, par la mise en avant de « valeurs » que sont l’efficacité, l’efficience, le pragmatisme… Des mots que l’on rencontre très fréquemment dans la littérature dont nous débattons aujourd’hui.
Enfin, last but not least, il est nécessaire de susciter l’adhésion du personnel, d’où le déploiement considérable de moyens mis en oeuvre dans une procédure « participative » – qui a pour effet au passage de contourner les délégations syndicales.
Les conséquences directes de ces processus sont bien connues. Je vous invite à ce propos à consulter le récent dossier de la revue POLITIQUE intitulé « Fonction publique : se moderniser sans se perdre ». On peut cependant remarquer que ces conséquences sont sans doute la seule chose qui ne soit jamais évaluée par le New Public Management.
La première, celle qui concerne sans doute le plus cette assemblée, est que l’évaluation de l’action du CPAS – sera désormais de moins en moins politique et de plus en plus gestionnaire, donc effectuée soit par des managers soit par des services de consultance externe, et de moins en moins par les élus.
La deuxième est l’absence de débat sur les nouvelles missions, par exemple l’accentuation et le déploiement de moyens de lutte contre la fraude. S’agissant d’une donnée extérieure intégrée dans des fichiers informatiques de gestion de projets, quelle est la possibilité qu’ont les élus de questionner cette pratique, qui a bien des chances – eu égard à ce qui se passe à l’ONEM – de reléguer dans l’extrême précarité les plus faibles, ceux qui ne sont pas alphabétisés, ceux qui ont le plus besoin d’aide, alors que les vrais fraudeurs – qui ont des ressources – continueront à passer entre les mailles du filet ? Vous pourrez encoder tous les objectifs de communication et de valorisation du CPAS que vous voulez dans vos fichiers de gestion : si les assistants sociaux sont à la fois des aidants et des délateurs, l’institution sera de facto décrédibilisée aux yeux de son public.
La troisième conséquence concerne la charge psycho-sociale reposant sur le personnel. Elle augmente considérablement dans ce système pathogène, que décrivent fort bien des auteurs comme Christophe Dejours ou Marie Pezé . La pression augmente en effet du fait de la rigidité des objectifs et des échéances – malgré le fait qu’une « adaptabilité » soit prévue, lourde à mettre en œuvre – et du manque de marge de manœuvre des travailleurs sociaux pour faire face à des situations atypiques. Les évaluations systématiques avec promotion ou non à la clé, et le fait qu’il y ait peu de personnel nommé au CPAS sont des facteurs aggravants pour le stress dans ce contexte. Par ailleurs, la liste des objectifs fixés nécessite des moyens que le CPAS n’a pas. Le manque de moyens est tellement criant que le personnel partant à la retraite n’est pas remplacé, sauf exceptions. Nécessairement, cela va aboutir à des situations de grande frustration, d’autant plus grande que les espoirs nourris par les travailleurs lors de la procédure « participative » auront été grands.
La « brochure sur la charge psycho-sociale » que vous avez l’intention de réaliser (p. 46 de votre note de politique générale) fait, dans ces conditions, figure de provocation. Je ne peux que vous suggérer une économie supplémentaire en vous référant aux nombreuses brochures déjà existantes, notamment syndicales.
Quatrième conséquence : le turn-over important qui résulte des nouvelles pratiques gestionnaires a pour conséquence une perte d’expertise dans la fonction publique, dès lors « obligée », dans certaines circonstances, de recourir à des sous-traitants privés.
La cinquième conséquence est la diminution de la qualité des services rendus. Les évaluations se basent sur des critères « objectivables », donc quantitatifs. La qualité du travail passe donc en second plan, et le temps nécessaire au traitement de dossiers complexes – de plus en plus nombreux –, n’est plus disponible. Je ne donnerai qu’un exemple : vous n’envisagez désormais l’insertion socio-professionnelle de vos « publics » que sous l’angle des économies que cela rapporte. C’est, une fois de plus, un objectif opérationnel.
Enfin, la complexification du travail et les exigences psychologiques requises ont pour effet de freiner encore plus l’engagement de personnes peu qualifiées.
Vous aurez compris que VEGA s’oppose à ce plan stratégique. Je voudrais néanmoins encore vous poser trois questions.
D’où vient l’idée de procéder à cette démarche de Nouveau management public ?
Quels ont été les coûts jusqu’à présent, en consultance et en temps de travail du personnel ? Quels sont les coûts prévus à l’avenir, notamment pour le suivi de la consultance, le temps du personnel pour les réunions et groupes de travail, l’engagement de personnel supplémentaire dans les ressources humaines ou les nouveaux managers) ?
Pouvez-vous nous communiquer les critères selon lesquels le personnel sera évalué, et signaler quelles seront les sanctions prévues en cas d’évaluation négative ? Qu’entendez-vous à la page 41 de la note de politique générale quand vous écrivez, je cite, que « [les membres du personnel] souhaitent que l’on sache qu’ils s’investissent pour notre CPAS et voient comme une marque de respect le fait que le Centre leur accorde la rémunération et le statut en regard de leur engagement » ?
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