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Affaire #Mawda : la ligne gouvernementale du journal Le Soir

Surpris par quelques attaques reçues sur les réseaux sociaux, ces dernières heures, à la suite de publications réclamant justice pour Mawda et la fin de la politique de répression des migrants qui prévaut aujourd’hui en Belgique et en Europe, j’ai été relire le récit de l’affaire que fait le principal quotidien belge francophone, le journal Le Soir.

Je vous invite ici à examiner la couverture que ce quotidien « de référence » fait du meurtre de la petite Mawda, cette fillette de deux ans tuée par la police dans la nuit de mercredi à jeudi d’une balle dans la tête.

Vendredi 18, parait un premier article, signé par Lorraine Kihl en page 8 du journal, sous le titre « Les trafiquants choisissent la stratégie du danger maximal ». Le ton est immédiatement donné, la responsabilité du décès, nous explique le quotidien, revient entièrement aux passeurs : « Le chauffeur a foncé sur la police » (une affirmation qui a été abandonnée depuis lors), « Les réseaux kurdes sont réputés comme extrêmement dangereux » et ainsi de suite. Les affirmations du parquet sont reprises sans aucune distance critique : « Seule certitude à ce stade : elle n’est pas décédée des suites des coups de feu des policiers » (c’est moi qui souligne).

Samedi 19, le sujet apparait (enfin) en Une, sous le titre « Brouillard autour de la mort par balle d’une réfugiée de deux ans ». Il apparait désormais que la fillette a été tuée par balle (c’est un rien gênant au vu de ce qui a été rapporté la veille). Le quotidien vespéral amorce donc une courbe rentrante, en arguant, tout au long d’un copieux article signé de pas moins de quatre plumes (Eric Deffet, Sandra Durieux, Lorraine Kihl et Marc Metdepenningen), du flou qui marquerait cette affaire et excuserait donc l’article unilatéral de la veille (Martine Vandemeulebroucke répliquera dans la journée à ses anciens collègues avec un billet d’une ironie vitriolesque : « Mawda ou l’art de l’enfumage »). Cela n’empêche pas le quotidien de continuer à relayer les éléments de langage gouvernementaux, en parlant par exemple d’« un tir qui l’a atteinte à la joue » plutôt que « une balle dans la tête ». Le point de vue du ministère de l’Intérieur est relayé sur trois colonnes : « Jan Jambon soutient sa police : ’Aucune raison de douter’ ». Le point de vue opposé n’est par contre relayé que sous la forme d’une photo de manifestation, avec une description en légende, mais sans aucun élément de contenu.

Mardi 22, après un long week-end, le sujet réapparait principalement dans un entretien-fleuve (en Une et en pages 4 et 5) du président du CDH, Benoit Lutgen, qui reprend à son compte l’attaque du Premier ministre sur la « trumpisation » de la gauche, et particulièrement, ici, d’Ecolo |1| et y va à fond sur le dossier Mawda : « par rapport au drame qui a coûté la vie à la petite Mawda, on balance des tweets émotionnels sans le moindre recul et sans connaître les circonstances précises du drame, c’est insupportable ». Pour le président humaniste, donc, ce qui est insupportable, ce sont les réactions émotionnelles à la suite du meurtre de la fillette, pas le meurtre lui-même. Et ce sont ces propos effarants que Le Soir juge utile de mettre en une — après avoir déjà fait son titre principal du samedi sur la « trumpisation » (re-sic), selon Charles Michel, de l’opposition de gauche. La conférence de presse des parents de la fillette, qui fait apparaître de très nombreux éléments plus qu’interpellants (pour ne pas dire insoutenables), n’est par contre traitée que dans une brève reprenant partiellement une dépêche Belga, en page 8, sur une colonne (on se demande si le journal a seulement couvert cette conférence de presse).

Bref, si votre information se limite à la lecture du Soir, vous aurez compris, en substance, qu’une fillette migrante est morte dans des circonstances troubles, que les passeurs sont responsables, et que la gauche verse dans le populisme en s’en émouvant. Point barre.

Mon étonnement a cédé la place à la consternation.

|1| Passons ici sur le niveau olympique de nimportnawak de cette affirmation, ce n’est pas le sujet.